A propos des langues nationales : entretien avec Kadiata Malick Diallo, députée UFP

Le Rénovateur Quotidien : Madame Kadiata Malick Diallo, avant d’être député donc femme politique, vous avez été une activiste, si vous permettez le mot, de la cause des langues nationales où vous êtes considérée comme l’une des figures féminines les plus marquantes des années 80 et bien après. Assumez –vous ce jugement ?

Kadiata Malick Diallo : Merci de me donner l’occasion de m’exprimer à travers votre journal. Et merci pour ceux et celles qui éprouvent tant de considérations pour moi. Je ne me suis jamais considérée comme une activiste, un qualificatif qui ne me sied pas, surtout dans sa charge ironique et donc dévalorisante. Par contre j’assume pleinement ce rôle de militante pour la cause des langues nationales. Et mon combat dans ce domaine est permanent, j’entends le poursuivre s’il plaît à Dieu.

Laissez-moi vous confirmer aussi que mon engagement pour la promotion des langues nationales est antérieur à mon engagement politique, et ce dernier peut être considéré comme une conséquence du premier. En effet, au moment où j’ai adhéré à l’Association pour la Renaissance du Pulaar en République Islamique de Mauritanie (ARPRIM), deux courants politiques s’y affrontaient (le MND et les nationalistes négro-africains qui formeront plus tard les FLAM). Et c’est dans le feu de cette lutte que j’ai acquis la conviction de m’engager politiquement au sein du MND.

Le Rénovateur Quotidien : L’institut des langues nationales, c’est l’histoire d’une longue lutte ayant abouti à la création de cette institution qui aujourd’hui n’existe plus. Faites- nous un peu la genèse de cette institution ?

KMD : Effectivement, l’Institut des Langues Nationales est le fruit d’une longue et âpre lutte dans laquelle le MND, auquel j’appartenais, a joué un rôle prépondérant, efficacement et dans la discrétion, aux côtés de nombreux autres concitoyens. Cette lutte avait pour cadre légal les associations culturelles pour la promotion des langues Pulaar, Sooninké et Wolof dont l’ARPRIM. Et à ce stade, permettez-moi de rendre hommage à certains infatigables militants comme Dia Amadou Oumar, Bocar Amadou Ba et bien d’autres qu’on n’a pas l’habitude de citer lorsqu’on parle de gens qui se sont sacrifiés pour cette cause. Le combat de tous ces vaillants militants a abouti, sous le régime de Mohamed Khouna Ould HAIDALLA, à la création d’une commission nationale présidée par Maaouya Ould Sid’AMED TAYA, chargée de plancher sur les problèmes récurrents de l’enseignement dans notre pays.

A l’issue des travaux de cette commission, il a été décidé de procéder à un réaménagement (ce que certains appellent la Réforme de 1979) et à la création d’un Institut des Langues Nationales, une sorte de laboratoire d’expérimentation pour l’introduction des langues pulaar, sooninke et wolof dans le système éducatif. Cette expérimentation devait se dérouler dans une période transitoire de six ans au cours desquelles l’enseignement fondamental devait se faire obligatoirement en langue arabe pour les enfants arabes et un choix pour les enfants négro-africains de prendre l’arabe ou l’option bilingue. Un grand pas et beaucoup d’espoirs pour tous ceux qui, comme moi, croyaient au projet et qui, sans hésiter, inscrivirent leurs enfants à la nouvelle école expérimentale.

Six ans d’expérience positive dont le succès fut attesté par les services compétents nationaux mais aussi et surtout par l’UNESCO notamment le Bureau Régional d’Education en Afrique (BREDA). Malheureusement, nos petits « cobayes » furent victimes d’un sabotage. A la veille des examens qui devaient couronner avec succès cette expérience, –la maîtrise des connaissances acquises sur la base de l’enseignement de leur langue maternelle étant évidente– leur parcours fut dévié. On les obligea à composer en grande partie en français, contraints qu’ils étaient de se reconvertir dans cette langue pour une année supplémentaire. N’est-ce-pas là un gâchis, d’autant plus frustrant que rien ne justifiait si ce n’est le prétexte inacceptable d’un vide juridique qui empêchait l’organisation d’examens en langues nationales ?

Je pense donc qu’on a assisté là à un sabotage délibéré d’un choix patriotique et pédagogique pour notre système éducatif. Ainsi, la période transitoire de six ans s’est transformée en une période durable de trente ans et il a fallu attendre 1999 pour qu’une nouvelle réforme soit entreprise et pour mettre fin à l’option d’officialisation des langues nationales et leur introduction dans le système éducatif. D’où la suppression de l’Institut des langues Nationales.

Le Rénovateur Quotidien : Aujourd’hui, peut-on dire que cette belle œuvre appartient au musée de l’histoire ?

KMB : Je ne pense pas qu’il faille tirer pareille conclusion de ce qui ressemble en effet à une volonté de sabotage pour ne pas dire plus. Ceux qui souhaitent que cette œuvre appartienne au musée de l’histoire, comme vous le dites, doivent plutôt reconsidérer leur vision et se convaincre que le peuple mauritanien n’acceptera pas que soient sacrifiés tant d’espoirs légitimes.

Le Rénovateur Quotidien : A l’heure du débat sur l’arabité et de la tension linguistique suscitée par une absence de vision claire du choix politique et pédagogique, la réhabilitation de l’institut vous paraît –elle une urgence et même un impératif ? On sait aussi que l’Unesco avait beaucoup aidé à la promotion des langues nationales. Des progrès importants avaient été faits, que devient tout cela ?

KMB : Il faut se battre pour que l’on fasse le bilan des mesures de 1979 et pour la remise en selle de ce beau projet et réhabiliter l’Institut des Langues Nationales. A l’instar des journées de concertation de la période de transition 2005-2007, il serait bon d’organiser des débats où seront impliqués les principaux acteurs et techniciens de l’éducation, ces fameux états-généraux de l’éducation dont on parle très souvent et qui n’arrivent pas encore à se réaliser. Mais des état-généraux dignes de ce nom et qui, au final, aboutiront à dégager les grandes lignes d’une bonne réforme de l’enseignement. L’UNESCO continuera naturellement à emboîter le pas à toute démarche tendant à promouvoir les langues nationales. Ses contributions déjà acquises en la matière constituent un patrimoine que nous devons préserver et exploiter au-delà des contingences.

Propos recueillis par Cheikh Tijane Dia

 

Source  :  www.le-renovateur.com  le 23/5/2010




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