Kroumaniya, esclave, sourde et muette

Dans un rapport de mission de SOS – esclaves daté du 9 mai 2010, il est noté : « ces esclaves revendiquent avec insistance leurs droits. Leur mère est muette parce qu’un jour (elle) était partie garder des chèvres (et) au retour (avait) très soif et ne voyait rien et a bu de la graisse et (est) tombée vite malade et (est) devenue muette et sourde…

La mère dont il est question dans ce rapport s’appelle Kroumaniya. Selon l’organisation anti-esclavagiste mauritanienne, elle fait partie avec ses cinq enfants des esclaves d’une fraction de la tribu des Kenta.

Leur histoire est révélée à la presse et à l’opinion au début du mois de mai lorsque la cellule de SOS esclave affirme avoir été informée que des « fugitifs » avaient été recueillis à Kaédi par l’ex député Alioune Ould Manza.

Pour l’IRA (Initiative de Résurgence du mouvement Abolitionniste), une autre organisation mauritanienne de défense de droits humains qui s’est très vite intéressée à l’affaire, le calvaire de Kroumaniya et de ses enfants remonte à  1997.  « Un garçon du nom de M’Bareck, âgé de 16 ans, prend la fuite de chez ses maîtres, la famille Ethmane, du village de Haddad , 60 km à l’Est de Kaédi. » Déclare l’IRA dans un document publié le 10 mai. Selon ce mouvement. M’Bareck  a laissé derrière lui, sa mère Ghroumaniya, ses frères Sleylmou et Merba.

Si du côté de SOS-esclaves les circonstances de la fuite de ces présumés esclaves remonte d’il y a quelques jours, on constate que pour l’IRA, la cavale de ces fugitifs a commencé il y a au moins treize ans. Du coup, se pose le problème de versions. D’un côté, celui de l’IRA, on affirme qu’en l’an 2000, « Ghroumaniya, la mère de M’Bareck, ne jouissant pas de ses capacités d’élocution, donc muette, s’enfuit, à son tour, vers la ville de Kaédi, chef-lieu de la région du Gorgol, ses maîtres, Ehel Ethmane, la poursuivent. Le procureur de la république du tribunal de Kaédi se saisit de l’affaire et décide de la leur remettre au motif qu’ils sont ses meilleurs tuteurs ».

De l’autre côté, celui de SOS – esclaves, Kroumaniya et ses cinq enfants ont été répartis aux membre de la famille de leurs maîtres de sorte que : « la mère de la famille esclave et Mbareck appartiennent à Saadna Oul Ethmane et sa mère Salma Mint Ahmed Vall, Brahim à Yehafdou Ould  Ethmane, Beilil et Sleilem à Koureiss Ould Ethmane, Laghdaf à Ahmed Ould Ethmane. » Deux relations d’une même situation qui ne rendent pas compte de la même manière du nombre de fugitifs et des circonstances de cette fuite.

Toutes les deux s’accordent à dire que les autorités n’ont pas donné à cette affaire la diligence requise. Mais d’après l’IRA, le représentant de l’État avait demandé aux présumés maîtres s’ils payaient « ces gens»  et que « les maîtres » avaient répondu par la négative en précisant que « néanmoins, que les esclaves possèdent 30 têtes de moutons et un chameau, contrepartie informelle de tout leur travail ». Et l’organisation de Birame Ould Abeid d’ajouter que les autorités avaient confisqué le bétail et les esclaves, refusant catégoriquement de poursuivre les coupables.

Par rapport à cet état de fait, la version de la mission de SOS-esclaves est autre. Il semblerait selon Sidati, chargé de communication de l’organisation de Boubacar Ould Messaoud, que les présumés maîtres avaient reconnu, à en croire les autorités, avoir payé ces personnes en nature (30 mouton et un chameau) ; et que ce bétail avait été confié à un berger qui devait les faire acheminer vers Kaédi mais qu onze jours après, rien. Ce qui aux yeux des représentants de SOS-esclaves est un subterfuge des autorités pour rendre caduque la thèse de flagrant délit d’esclavagisme dont se seraient rendus coupables la famille Ehel Ethmane.

Y a-t-il eu plainte de la part des victimes directes ? Non, répond-t-on du côté de SOS-esclaves car ces victimes sont « comme des animaux » et donc incapables de comprendre ce qui leur arrive. Elles sont confrontées à une difficulté, voire une impossibilité à communiquer du fait du handicap de leu mère, précise Boubacar Oul Mohamed SG de l’ONG. Ce qui est regrettable, renchérit Boubacar Ould Messaoud, c’est que la loi votée il y a trois ans pour criminaliser les pratiques esclavagistes en Mauritanie ne leur permet pas de se constituer partie civile alors que pour celle relative aux droits de l’enfant cette option est possible. « Un esclave est comme un enfant. Il a besoin d’être protégé. » Souligne le président de SOS-esclaves.

Quant à l’initiative de Résurgence du mouvement Abolitionniste (IRA) de Mauritanie, elle affirme avoir tenté vainement d’établir une relation avec les victimes pour les assister et les « soustraire aux tentatives, par les autorités, d’escamoter leur cas et dénaturer les faits afin d’étouffer le scandale. »

Aussi bien du côté de SOS-esclaves que de celui de l’IRA, on déplore un marquage serré des autorités sur les « victimes ».

« Les policiers les harcèlent en les mettant en garde contre nous en nous faisant passer devant ces gens pour des personnes vendant leur causes à l’étranger », affirme Zakaria Ould Mahmoud représentant de SOS-esclaves à Kaédi qui a ajouté avoir été directement mis en garde par les autorités qui lui auraient signifié qu’elles le suivaient de très près. Et l’IRA de déplorer : « le préfet empêche tout rapport avec les esclaves et refuse, à nos représentants, de les approcher ou de les photographier; les victimes demeurent, jusqu’à présent isolées, dans une maison sous le contrôle de policiers et de gendarmes en civil. »

Quant à Kroumaniya, l’esclave, sourde et muette, elle garde le silence que son sort lui avait imposé et auquel le destin a fini par la condamner pour toujours.

 

Kissima

La Tribune N°501 du 17 mai 2010

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