Mendier au nom de la religion : les enfants de l’al-Moudat

Les écoles islamiques obligent les jeunes élèves à sacrifier du temps scolaire pour pouvoir mendier dans les rues.

 

Par Mohammed Yahya Ould Abdel Wedoud et Mohamed Foily Samba Vall pour Magharebia à Nouakchott :

 

 

Chaque matin après la lecture du Coran, le jeune Diop Samba, 10 ans, part pour la capitale mauritanienne, Nouakchott, dans l’espoir de trouver quelqu’un qui lui donnera un peu de monnaie ou peut-être même un morceau de pain. Ce jeune mendiant fait partie de l’al-Moudat, ces enfants qui doivent payer leur propre éducation islamique.

« Je dois gagner une certaine quantité d’argent chaque jour ; sinon, je fâche mon professeur qui attend ce que je lui rapporte. Je ne peux pas revenir à l’al-Mahdhara (école religieuse) les mains vides, sinon je suis puni », explique-t-il à Magharebia.

Il travaille toute la journée. « J’aimerais jouer avec mes amis et regarder la télévision », admet-il, mais la vie à l’intérieur de l’al-Mahdhara l’en empêche.

Le petit garçon vêtu de haillons ajoute : « J’aime les écoles publiques, où les élèves portent leurs livres et les crayons et passent la journée à l’ombre, mais nous, nous passons toute la journée sous le soleil, à la recherche d’un peu d’argent. »

« Mon père refuse de m’envoyer dans ces écoles », explique Samba. « Je ne sais pas pourquoi. »

Nouakchott compte plus de 2 000 mendiants, selon le recensement de novembre 2009 mené par la Commission des droits de l’Homme, de l’action humanitaire et des relations avec la société civile (CDHAHRSC).

Nombre d’entre eux sont des mendiants envoyés par leurs écoles religieuses pour demander l’aumône.

Zeid Hamidoun, 11 ans, est un autre de ces enfants d’al-Moudat. Il rêve d’une chose, explique-t-il : « Acheter un vélo et arrêter d’aller à l’al-Mahdhara ».

« Mes voisins me donnent des surnoms que je n’aime pas, comme ‘mendiant’ et ‘enfant de la rue' », explique Hamidoun à Magharebia, avec des larmes qui témoignent d’une partie de la tragédie qu’il vit.

Les sheikhs estiment que le coût de l’éducation religieuse, comme l’eau, l’électricité, la nourriture et les vêtements, doivent être supportés par les jeunes élèves.

« Les ressources économiques de l’al-Mahdhara sont très limitées, et chacun est donc tenu de contribuer, y compris les élèves et leurs familles, qui sont en général pauvres », explique Othman, un instructeur religieux, à Magharebia.

« La recherche de la connaissance exige des efforts. Je sais que certaines organisations des droits de l’Homme critiquent ce que nous faisons, mais ce n’est pas important. Le but est de servir notre religion, rien d’autre », affirme-t-il.

Comme Diop et Zeid, les élèves terminent les leçons coraniques tôt le matin. Après un repas frugal, ils sont envoyés dans les rues pour une « mission religieuse » obligatoire destinée à collecter de l’argent, de la nourriture, des vêtements et des médicaments.

Après une rude journée de mendicité, ils rentrent le soir à l’al-Mahdhara pour rencontrer leurs sheikhs et calculer le montant de leur récolte. Ils plongent alors dans un sommeil profond, jusqu’à ce que les prières de l’aube n’entament un nouveau cycle de misère, d’ennuis et de fatigue.

L’al-Moudat est également exposée à des risques comme la drogue et l’exploitation sexuelle. A force de mendier, expliquent les spécialistes, certains de ces jeunes deviennent des voleurs expérimentés qui finissent en prison.

Certaines familles qui envoient leurs enfants dans ces écoles religieuses n’ont pas les moyens financiers de payer pour l’éducation de leurs enfants.

D’autres considèrent ces institutions comme une tradition qui forge le caractère.

Mohamed, la cinquantaine, travaille depuis vingt ans comme charpentier dans la ville de Rosso, dans le sud du pays. Père de cinq enfants, quatre d’entre eux ont été envoyés dans une Mahdhara tenue par l’un des parents.

« Je sais que mes fils vivent depuis trois ans dans des conditions difficiles à l’al-Mahdhara », explique-t-il. « Je sais qu’ils combinent études et gagne-pain. Je pense que cette expérience est très importante pour leurs vies ; elle les rendra plus forts pour l’avenir. »

« La vie est sans pitié, c’est une réalité que nous ne devons pas cacher aux enfants », ajoute-t-il.

Le phénomène de l’al-Moudat n’est pas limité à la seule Mauritanie, explique Siyde Mint Mohamedou, directrice du Centre de protection et d’insertion sociale de l’enfance, un organisme d’Etat. En Mauritanie et ailleurs en Afrique subsaharienne, poursuit-elle, certains sheikhs d’al-Mahdhara affirment vouloir propager la culture islamique, mais ils n’ont pas assez d’argent pour le faire et doivent trouver des ressources supplémentaires.

« Au final, ils exploitent les enfants et les exposent à des risques. La Mauritanie ne peut accepter ce type de comportement. »

« Nous traitons cela comme un phénomène dangereux », explique-t-elle à Magharebia.

Dans de nombreux cas signalés, les enfants de l’al-Moudat ne connaissent rien d’autre que la mendicité et la collecte de nourriture.

Sous les auspices du ministère des Affaires sociales, le Centre pour la protection de l’enfance a procédé à une évaluation de 70 enfants âgés de 5 à 14 ans. « Nous avons noté leur très faible niveau de connaissance », souligne-t-elle.

« Certains ne savent même pas lire ou écrire alors qu’ils ont passé des années dans ces écoles. Cela est dû au fait que ces enfants n’ont pas trouvé le temps d’apprendre, étant exploités économiquement en permanence par leurs sheikhs. »

Pour le sociologue Mohamed Ould Ahmed, le phénomène de l’al-Moudat est « dangereux pour la société et l’identité ». Le plus étrange, confie-t-il à Magharebia, c’est que ce comportement existe, car l’Islam « encourage l’abstinence et l’autosuffisance ».

« Depuis quand la mendicité est-elle un principe de la charia ? », s’interroge Mohammed.

« Le gouvernement doit intervenir pour résoudre ce problème d’un point de vue légal, plus qu’économique », affirme-t-il. « Les mentalités ne changent pas facilement, surtout si elles tirent le caractère sacré des choses de la religion. »

Pour les militants sociaux et les responsables gouvernementaux, le volet financier du problème est clair. Des conditions difficiles et le chômage signifient que la mendicité ne se limite pas aux enfants qui cherchent l’aumône pour leurs écoles. Les mendiants adultes se retrouvent également à chaque carrefour et dans chaque coin de la capitale.

De nombreux citoyens ne voient pas comment aider à remédier à la situation de misère des mendiants, jeunes et vieux.

Pour lutter contre ce problème, le gouvernement mauritanien a alloué quelque 300 millions d’ouiguiyas (833 000 euros) aux programmes de refuges et de réinsertion dans les quartiers de Sebkha, Arafat, Elmira et d’autres dans la capitale. De la nourriture, des hébergements et même des activités génératrices de revenu ont été proposés à plus de 2 000 mendiants.

Mais nombre d’entre eux ont rapidement déserté ces refuges pour retourner dans les rues de Nouakchott.

Comme l’explique un vieux mendiant près du marché El Mina dans une banlieue de Nouakchott : « Les autorités de Nouakchott ont souhaité contrôler le phénomène grandissant de la mendicité en mettant à la disposition des mendiants des fonds pour qu’ils puissent créer des activités génératrices de revenu. Mais les sommes que nous avons reçues sont insignifiantes. Je préfère continuer à demander la charité, ce « métier » nous permet de joindre les deux bouts. »

« Un mendiant qui fait bien son travail peut gagner jusqu’à 70 000 ouguiyas par mois », confirme un autre mendiant.

Pour tenter de contrer ce phénomène, les autorités mauritaniennes ont lancé une campagne nationale en février sous le thème « Lutter contre la mendicité est le devoir de tous ».

Dans le cadre de cette importante campagne dans les médias, des oulémas et des imams sont intervenus à la radio et à la télévision nationale pour condamner ce comportement comme contraire aux enseignements de l’Islam.

Mais malgré l’ampleur de la campagne, le message ne passe pas toujours bien.

Mohamed Abdallahi, la soixantaine, mendie depuis plus de cinq ans. Et il n’envisage pas d’arrêter.

« Je suis le seul soutien de ma famille. Je vais souvent à Nouadhibou où je reste parfois un mois et je ramène souvent plus de 100 000 ouguiyas. »

En arpentant les rues, il se retrouve souvent aux prises avec les jeunes garçons envoyés par leurs écoles religieuses pour glaner quelques pièces auprès des passants.

Mais ses enfants ne font pas partie de ces jeunes mendiants.

Avec l’argent de sa propre mendicité, explique-t-il avec fierté à Magharebia, il peut assurer l’éducation de ses deux fils et de ses deux filles.

 

Source  :   www.magharebia.com  le 16/04/2010

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