
Initiatives News – À Nouakchott, Nouadhibou et dans plusieurs villes mauritaniennes, la traque des migrants subsahariens s’est intensifiée ces derniers mois. Pick-up lancés à toute vitesse dans les ruelles, contrôles au faciès, hommes encagoulés et extorsions se multiplient, plongeant ces populations souvent en situation irrégulière dans une peur constante. Cette entreprise musclée n’est pas une initiative isolée : elle résulte d’un accord signé entre Nouakchott et ses partenaires européens, notamment l’Espagne, qui cherchent à endiguer la migration clandestine vers les îles Canaries.
Sur le papier, les résultats sont impressionnants. Entre janvier et avril 2025, plus de 30 000 migrants auraient été interceptés, 80 réseaux de passeurs démantelés, et 119 personnes incarcérées, selon les autorités mauritaniennes. Cette répression sévère a contribué à une baisse de 33,8 % des arrivées en bateau vers les Canaries par rapport à la même période en 2024, un record historique qui réjouit les diplomates européens.
Mais derrière cette réussite apparente se cache une réalité beaucoup plus sombre. Arrestations arbitraires, rackets, humiliations : la politique européenne externalisée nourrit la peur et la souffrance au cœur des communautés migrantes. Pendant que Bruxelles et Madrid saluent ces chiffres, la Mauritanie, elle, paye un prix humain lourd.
Les financements européens abondent pour soutenir cette stratégie : dès début 2024, plus de 210 millions d’euros ont été accordés à la Mauritanie, incluant la gestion migratoire, la sécurité, ainsi que des projets pour la jeunesse et le développement. D’autres fonds, estimés à 200 millions d’euros en 2025, renforcent la position de Nouakchott comme « bon élève » dans ce dispositif, en échange de résultats tangibles — moins de départs, plus d’interceptions.
Pourtant, cette externalisation du contrôle migratoire transforme la Mauritanie en un simple « gendarme des côtes atlantiques », une fonction réductrice et lourde de conséquences pour sa propre société. Ce rôle fait oublier les liens historiques entre ce pays et ses voisins subsahariens, avec qui il partage une histoire et des solidarités multiples.
Le bilan humain est d’autant plus tragique que la route vers les Canaries demeure l’une des plus meurtrières au monde. En 2024, près de 10 000 décès ou disparitions ont été recensés sur cette trajectoire migratoire. En janvier 2025, un naufrage au large du Sahara occidental a emporté 50 personnes. La pression sur les migrants ne fait que croître, avec des parcours toujours plus longs, périlleux et inhumains.
Dans ce contexte, la Mauritanie se trouve confrontée à un dilemme terrible. Sous la pression européenne, elle s’engage dans une politique répressive qui peut fragiliser ses relations régionales et sa cohésion sociale. Elle sacrifie son image et ses valeurs pour une manne financière et une reconnaissance internationale, au risque de devenir un acteur secondaire d’une politique décidée ailleurs.
Au-delà des chiffres, la vraie question reste celle du prix humain et moral de cette traque. Quel coût pour la dignité, la souveraineté et la solidarité dans une région marquée par des dynamiques migratoires complexes ? La Mauritanie est-elle prête à ce marché de dupes, qui pourrait laisser des cicatrices profondes bien au-delà des frontières ?
La Rédaction
Source : Initiatives News (Mauritanie) – Le 11 août 2025
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