
Seneplus – Le professeur Bado Ndiaye revendique l’égale dignité de l’islam africain face à l’orthodoxie arabe. Une leçon de décolonisation intellectuelle qui oppose les confréries soufies au wahhabisme des pétrodollars.
Lors du Sixième congrès international de la société francophone de philosophie de la religion, qui s’est tenu du 4 au 8 septembre 2024, le professeur Bado Ndiaye de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad) a livré une réflexion approfondie sur le pluralisme en islam, remettant en cause la marginalisation de l’Afrique dans la pensée islamique contemporaine.
Dans sa conférence intitulée « Penser le pluralisme en Islam », le philosophe sénégalais a dénoncé la façon dont « l’anthropologie coloniale et un certain ethnocentrisme arabe ont conspiré pour faire de l’Afrique une région à la périphérie de l’Islam ». Cette vision, selon lui, a occulté la riche tradition intellectuelle ouest-africaine des centres comme Tombouctou et Djenné.
S’appuyant sur les enseignements de Tierno Bocar, maître d’Amadou Hampâté Bâ, Ndiaye compare l’islam à « un cours d’eau qui, tout en étant le même, prend la couleur des différents paysages qu’il traverse ». Cette métaphore illustre sa conception d’un islam universel capable de s’incarner dans toutes les cultures sans perdre son essence.
Le professeur puise dans la pensée d’Ibn Arabi pour fonder théologiquement le pluralisme islamique. « Si la miséricorde divine enveloppe toute chose, il ne peut y avoir de rupture entre les plans de la transcendance et de l’immanence », explique-t-il, ajoutant que cette vision interdit tout « monothéisme exclusif ».
Cette approche trouve sa traduction pratique dans plusieurs versets coraniques que cite Ndiaye, notamment celui affirmant : « À chacun de vous nous avons accordé une loi et une voie. Si Dieu l’avait voulu, il aurait fait de vous une seule communauté, mais il a voulu vous éprouver par le don qu’il vous a fait. »
Une résistance à l’islamisme conquérant
Le philosophe sénégalais oppose fermement l’islam confrérique ouest-africain, « foncièrement méditatif et attaché à une compréhension symbolique du texte », à ce qu’il qualifie d' »islam conquérant, littéraliste venu d’Arabie qui a avec lui la puissance des pétrodollars ».
Citant Cheikh Ahmadou Bamba, fondateur de la confrérie mouride, Ndiaye dénonce ceux qui « ont été abusés par le djihad qui les pousse à s’acharner sur les êtres humains » alors qu’ils ne visent « en réalité que la notoriété et d’autres avantages matériels ».
Lors des débats qui ont suivi, des questions ont été soulevées sur la nécessité de « décoloniser » certaines pratiques islamiques en Afrique. Un participant a notamment évoqué la question des prénoms africains progressivement abandonnés au profit de prénoms arabes, ainsi que l’adaptation du voile aux contextes climatiques et culturels locaux.
Source : Seneplus – (Le 23 juin 2025)
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