Sénégal – Profession numismate : sur un marché de Dakar, cette sexagénaire fait la monnaie

Courrier internationalLe journal sénégalais “Le Soleil” brosse le portrait d’Aminata Ly, une figure bien connue du marché Soumbédioune, à Dakar. Depuis vingt-cinq ans, elle gagne sa vie en faisant la monnaie aux marchands ou aux touristes de passage, moyennant une petite commission. Les pays utilisant le franc CFA sont souvent confrontés à une pénurie de petites coupures.

Il est compliqué d’avoir de la petite monnaie avec un billet de 10 000 francs CFA [environ 15 euros] alors que des rumeurs font état que la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) s’apprêterait à mettre en circulation un billet de 25 000 FCFA [environ 38 euros]. Évidemment, il s’agit d’une fausse information. Cependant, cela aurait tellement plu à Aminata Ly ! Cette dame de 67 ans fait partie des rares personnes dont le travail, depuis plus de vingt ans, consiste à faire de la monnaie aux clients du village artisanal de Soumbédioune et aux pêcheurs. Elle vous évite les longues marches et les achats inutiles à la recherche de menus billets, contre 100 FCFA [15 centimes d’euro].

À ses côtés se dégage une senteur. C’est cette odeur caractéristique des vieux billets flasques passés par toutes les mains du monde. Désagréable à l’odorat, mais ô combien rassurante ! Ce paradoxe est incarné par Aminata Ly. Derrière son vieux wax, éprouvé par les solutions basiques de lessive et le soleil, se cache une femme au sens aigu des affaires. Beaucoup la confondraient avec celles qui font la manche, mais il n’en est rien. Elle fait la petite monnaie aux commerçants du village artisanal de Soumbédioune et aux pêcheurs souhaitant se partager leur butin après le débarquement. Le principe de travail d’Aminata Ly est simple : elle fait la monnaie contre 100 FCFA, quelle que soit la somme initiale. Ce tarif est inchangé depuis plus de vingt ans, et le service qu’elle propose est toujours utile.

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Native de la Médina [un quartier de Dakar], Aminata a très tôt détecté les opportunités découlant de la difficulté qu’ont les artisans à rendre la monnaie à leurs clients. En général, ces derniers sont des touristes fraîchement sortis des bureaux de change.

Opportunité

La plupart ne disposent pas de petites coupures. Ils viennent généralement avec des billets de 5 000 [environ 7,60 euros], voire 10 000, FCFA pour acheter des articles parfois pas coûteux. Perspicace, Aminata Ly a vite abandonné son ancien travail pour devenir numismate. Nous sommes en 2000. “Comme j’habitais à la Rue 23 de la Médina, je venais au village artisanal pour vendre du jus et des beignets. Au fur et à mesure que je fréquentais les lieux, j’ai compris qu’il y avait là une opportunité de travail”, raconte Aminata Ly, d’une voix posée et pleine de courtoisie.

Mais la question est : où cette dame trouve-t-elle les pièces de monnaie et les petites coupures ? Eh bien, c’est elle-même qui les recherche, parfois jusque dans les institutions bancaires. “Pour faire mon travail, je dois avoir de la monnaie, c’est mon outil de travail. C’est pour cela que je la cherche partout où je pense en trouver. Avant de déménager de la Médina, j’allais dans les banques de la place pour avoir de la monnaie, mais maintenant que j’habite Yeumbeul Benn Barack [un autre quartier de Dakar], c’est devenu un peu plus compliqué pour moi”, explique-t-elle.

Aminata explique que c’est en 2000 qu’elle a décidé de changer de travail. “J’étais avec un vieil homme qu’on appelait Diop. Il fut le premier à faire ce travail et était originaire de Saint-Louis. C’est lui qui m’a initiée à cette activité. Lui et moi étions les seuls à proposer le service de la monnaie en pièces ou en petites coupures”, confie-t-elle, avec beaucoup de reconnaissance envers cet homme. Pleine de gratitude, elle se rappelle son maître décédé. À 67 ans, Aminata Ly est la seule numismate du village artisanal de Soumbédioune. “Il s’asseyait là, juste à ma droite. Mais il est décédé, et depuis je suis seule”, ajoute-t-elle.

La perte d’un monopole

Aminata confie que d’autres personnes proposent le même service. “Au début, il n’y avait que moi et mon mentor, le vieux Diop. Mais depuis quelques années, d’autres personnes se sont intéressées à l’activité, notamment du côté du débarcadère de Soumbédioune. Évidemment, je gagne moins”, dit la doyenne sans rancune.

Malgré la baisse de ses gains, Aminata Ly tient toujours à son activité. Ce travail lui permet de subvenir à ses besoins, malgré la conjoncture économique difficile. Vu son positionnement entre le village artisanal et le quai de pêche de Soumbédioune, ses gains dépendent de l’affluence des touristes et de l’abondance des ressources halieutiques. Ces gains ont drastiquement baissé comparativement à ses débuts, en 2000.

Elle explique, sans volonté de se plaindre, qu’il y avait beaucoup plus de touristes au village artisanal de Soumbédioune. “Ils sont moins nombreux, et ceux qui viennent font de moins en moins des achats. Nous qui dépendons du tourisme, subissons directement les effets de la conjoncture économique. Il y a aussi d’autres villages artisanaux un peu partout dans le pays. Soumbédioune a perdu son monopole, et nous aussi par la même occasion”, argumente-t-elle. Aminata se souvient de l’époque où elle pouvait gagner beaucoup d’argent grâce à son travail et à la générosité des touristes. “Maintenant, il arrive souvent que je gagne juste de quoi payer mon transport de Dakar à Yeumbeul. Vous pouvez le constater vous-même : cela fait plus de trente minutes que vous êtes là, et je n’ai eu que trois clients, soit 300 FCFA [moins de 50 centimes d’euro]. Mais je rends grâce à Dieu car j’arrive au moins à subvenir à mes besoins et à entretenir ma famille”, informe-t-elle.

Escrocs et agresseurs

Depuis qu’elle exerce ce métier, Aminata en a vu des vertes et des pas mûres. Entre les épieurs malintentionnés tapis dans l’ombre, à la quête d’une proie facile, et les escrocs, la dame fait appel à son intelligence et à son expérience pour ne pas se faire avoir. Assise devant une petite boutique, Aminata dispose d’une chaise en fer forgé, d’une table en bois sur laquelle est posé un seau de 20 litres incliné vers elle.

Ce vieux récipient apparaît comme une relique de son ancienne vie de vendeuse de crème et de beignets. C’est là que se déroulent les opérations financières. Le récipient contient l’argent. Tous les billets et toutes les pièces y sont. Après chaque client, Aminata referme le sac dans lequel se trouve son outil de travail. Elle sait se faire discrète. Le regard alerte, elle veille sur ses fonds, à l’affût de toute tentative d’escroquerie. “Une fois, un inconnu m’a remis la somme de 30 000 FCFA [près de 46 euros] pour que je lui fasse de la petite monnaie. Je ne me suis pas rendu compte que c’étaient de faux billets. C’est la seule fois où je me suis fait avoir”, rigole-t-elle, laissant entrevoir discrètement un joli diastème. Aminata garde par-devers elle ces faux billets et a su, depuis ce jour, les distinguer des vrais rien qu’en les touchant. Cependant, elle reste toujours sur ses gardes et veille à ne pas tomber dans les pièges des agresseurs à la tombée de la nuit.

En effet, Aminata Ly quitte chaque jour son lieu de travail au crépuscule pour rallier la banlieue de Dakar. “J’ai un itinéraire sûr pour ne pas me faire dépouiller. Et, même si cela arrive, les bandits rentreront bredouilles, car je ne me promène pas avec une certaine somme d’argent. Je les laisse en lieu sûr.”

 

 

 

Source : Courrier international (France) – Le 22 juin 2025

 

 

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