Mauritanie – « Donner sa pièce d’identité, ce n’est pas donner une carte de visite »

Dans une salle d’audience sans clim, le parquet d’immigration tint audience. À la barre, un homme au teint noir d’ébène, né quelque part entre les galets du Karakoro et les murmures du Guidimakha, en 1986, époque bénie où les cartes d’identité étaient en carton et les frontières en coton. L’inculpé, un certain MK—appelons-le comme ça—fait son entrée dans le tribunal un chapelet à la main, égrenant des Subhan Allah comme s’il entrait à la mosquée et non dans l’arène d’un État de droit.

Le juge, lunettes en demi-lune, le regarde longuement avant de lui lancer :

– « Range ton tesbih… chaque chose en son temps, comme on dit chez les hassanes : chaque sommet de dune a son dialecte. »

Le chef d’accusation ? Avoir prêté, cédé ou gracieusement offert sa pièce d’identité nationale à un ressortissant malien pour lui permettre de franchir les barrages filtrants et les regards scrutateurs entre Rosso et Nouakchott. Crime ou solidarité panafricaine ? La cour devra trancher.

L’avocat est là, sobre, avec une cravate qui a connu des procès plus illustres. Il lit l’acte :

– « Mon client est inculpé pour avoir facilité l’entrée illégale d’un étranger sur le territoire mauritanien par prêt de pièce nationale d’identité. »

Le juge interroge l’accusé :

– « Qu’as-tu à dire ? »

Lui, calme, regard droit, répond :

– « Je suis au courant de rien. »

Et voilà qu’il déroule sa version, en soninké traduit par un commis judiciaire qui semble chercher ses mots comme on cherche une moutarde dans un tangana bondé. Il raconte son voyage au Sénégal, son arrêt à Rosso, un pote malien qui voulait acheter des marchandises une arrestation collective façon promo 2 pour le prix d’1, puis une libération mystérieuse… puis une autre arrestation encore plus folklorique, cette fois dans un café, le gobelet encore chaud à la main.

« Ils m’ont laissé finir mon café avant de m’arrêter. Après, ils m’ont demandé de l’argent. J’ai dit que je donne rien. Même pas un sous. Ils m’ont dit ‘OK, dans ce cas, tu restes jusqu’à ton transfert au turbinal’. »

Mais voilà que le juge le coupe :

– « Ce n’est pas ce que tu as dit devant le procureur. Ni ce que tu as dit en interrogatoire. Tes versions ne collent pas. Dis-nous la vérité. »

Mais l’homme, têtu persiste :

– « Je suis victime d’un racket. »

Le procureur, se lève . Il s’empare de la scène :

– « L’affaire est limpide! Le Malien, Adama, a tout raconté. Il voulait venir à Nouakchott, mais les postes de contrôle sont verrouillés. Alors il appelle sa famille au Mali. La famille contacte notre accusé. Et là, le mauritanien dit : ‘Pas de souci, je lui donne ma pièce’. À Rosso, la photo a trahi l’histoire. Parce que, Monsieur le Juge, la gendarmerie mauritanienne, elle ne connaît pas le flou artistique ! »

L’avocat de la défense, voyant son client embourbé jusqu’au cou dans ses versions variables, tente une envolée mystique :

– Charat nihayat tashīh al-bidāyāt… toute fin est une correction du début. Ce jeune homme ne parle que soninké. Il y a eu malentendu dans les procès-verbaux. On demande pardon. Et clémence. »

Le juge hoche la tête, touche ses lunettes, puis lance une phrase :

– « Nous tâchons à la clémence comme nous tâchons à l’intérêt public. »

Puis il se tourne vers l’accusé :

– « Ton dernier mot ? »

– « Je demande pardon. J’ai des petits-enfants. Je peux pas m’absenter. »

Le juge, impassible :

– « Le verdict sera rendu la semaine prochaine. »

Morale ? Donner sa pièce d’identité, ce n’est pas donner une carte de visite. C’est donner son nom, sa citoyenneté, sa trace administrative, et potentiellement… sa liberté. Et comme on dit entre Rosso et Guidimakha : « Le fleuve ne ment jamais, mais parfois, il emporte les secrets de ceux qui le traversent. »
À méditer.

 

 

 

Mohamed Ould Echriv Echriv

 

 

 

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