M Campus – Son ordinateur portable est tout neuf, mais Lou Bouloch ne s’en sert quasiment pas. L’étudiante de 18 ans en première année de licence de psychologie à Lille lui préfère cahiers et stylos : « Je l’ai acheté quelques jours après la rentrée, en septembre. Je me suis dit que si tout le monde l’utilise, c’est que forcément ça doit être plus pratique. » Mais, après une semaine à prendre ses notes au clavier, elle retrouve ses habitudes du lycée. « Sur l’ordinateur, je n’y arrivais pas, je ne comprenais pas. C’est vrai qu’écrire manuellement, c’est un peu plus long, mais je m’y repère davantage pour faire des schémas, mettre des flèches, des couleurs. Je me sens plus libre et à l’aise. »
A mesure que l’année avance, l’étudiante originaire de Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais) a l’impression d’être de plus en plus seule à prendre les cours à la main. « Dans des amphis de plus de 200 personnes, on doit être trois ou quatre. »
Depuis l’autre côté des bancs de son amphithéâtre, à Nantes, Laurence Coiffard, enseignante-chercheuse en faculté de pharmacie, confirme cette observation et décrit une forêt d’ordinateurs face à elle. « Je ne vois aucun étudiant qui a une prise de notes manuelle. Dans mes cours, c’est 100 % de la promotion qui utilise un ordinateur », constate l’enseignante.
L’usage des ordinateurs portables dans l’enseignement supérieur s’est accéléré ces dernières années, renforcé par la pandémie liée au Covid-19 et le passage aux cours en ligne.
Certaines filières, cependant, n’ont pas encore été touchées par la déferlante des écrans, parce que leurs disciplines sont singulières. Dans la promotion d’Eliane Valot, 19 ans, étudiante en deuxième année de mathématiques à Paris, « la majorité écrasante prend des notes manuscrites ». « On utilise beaucoup d’équations et de l’alphabet grec, qui sont plus compliqués à l’ordinateur », précise-t-elle.
« De nombreux processus cognitifs sont mis en jeu »
En deuxième année de double licence droit et science politique, Neyssem El Assad, 19 ans, se souvient d’avoir eu longtemps du mal à trouver sa méthode, en première année : « J’étais attachée au fait d’écrire à la main, qui est pour moi la meilleure des méthodes. Mais c’était très difficile, certains profs de cours magistraux vont super vite. Parfois, ils lisent leurs cours sans prendre le temps d’expliquer ou de répéter », expose celle qui a fini par opter pour une approche hybride. Elle évite l’ordinateur, qu’elle utilise « mécaniquement, sans réfléchir à ce qu’[elle] entend », excepté pour certains cours magistraux de droit aux termes trop techniques. Ecrire à la main l’oblige, au contraire, à écouter. « Je préfère, même en travaux dirigés de droit, rater quelques phrases et au moins écouter attentivement pour me souvenir des choses », ajoute l’étudiante.
Le choix d’une méthode ou de l’autre mobilise des mécanismes distincts dans le cerveau. « La prise de notes est tellement complexe, de nombreux processus cognitifs sont mis en jeu », explique Jean-Luc Velay, chercheur au Laboratoire de neurosciences cognitives du CNRS et d’Aix-Marseille Université, et spécialiste de l’apprentissage de l’écriture chez les enfants et les jeunes adultes.
Parmi les travaux les plus influents de ce domaine, on retrouve ceux des scientifiques américains des universités de Princeton et de Californie Pam A. Mueller et Daniel M. Oppenheimer, qui, en 2014, ont comparé les résultats aux examens des étudiants ayant pris des notes à la main à ceux des étudiants qui les ont prises au clavier. Les premiers ont été meilleurs que les seconds, et les chercheurs l’ont notamment expliqué par un premier tri de l’information effectué au niveau cognitif.
Source : M Campus () – Le 06 février 2025
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