France – « Enseigner l’arabe pourrait être un vecteur d’intégration »

Médecin et ancien ministre de la santé tunisien, Mohamed Salah Ben Ammar déplore, dans une tribune au « Monde », la marginalisation de la langue arabe en France et plaide pour que son enseignement soit renforcé à l’école.

Le Monde  – L’enseignement de l’arabe en France dépasse le simple cadre linguistique. Elle soulève des enjeux essentiels d’intégration sociale, culturelle et économique. La marginalisation de cette langue, visible notamment par son absence dans l’espace public, nourrit un sentiment d’exclusion chez de nombreux jeunes issus de l’immigration.

Langue maternelle d’une partie importante de la population immigrée, notamment maghrébine, l’arabe reste marginalisé sur le plan institutionnel. Ce rejet, d’abord implicite, s’est accentué avec la montée des idéologies xénophobes. Bien que l’extrémisme religieux soit souvent invoqué pour justifier cette marginalisation, les relations historiques entre la France et le Maghreb, ainsi que la présence d’une importante communauté d’origine maghrébine depuis plus d’un siècle, montrent que ce phénomène est bien plus ancien.

Dans l’imaginaire collectif français, l’arabe est souvent associé à des stéréotypes négatifs et à un mépris pour les cultures des anciens colonisés. Parler arabe en public a longtemps été mal vu, voire interdit. Cette langue est également confondue avec l’islam, alimentant des préjugés injustifiés. Pourtant, l’arabe dépasse largement le cadre religieux. Le mouvement intellectuel de la Nahda, au XIXᵉ siècle, conduit notamment par des Libanais maronites, a modernisé cette langue et enrichi son vocabulaire pour l’adapter aux concepts contemporains.

En France, l’enseignement de l’arabe suscite des débats marqués par des préjugés. Souvent réduite à quelques mots argotiques ou perçue comme un marqueur des banlieues, cette langue souffre d’une image négative.

Par ailleurs, la confusion entre arabe littéraire, coranique et dialectal complique son apprentissage. L’arabe littéraire, utilisé dans les médias, la littérature et l’éducation, repose sur une structure grammaticale exigeante. Les dialectes, eux, varient selon les régions et intègrent des influences berbères, françaises, italiennes ou espagnoles. Cette dualité provoque des frustrations chez les apprenants, car la langue apprise en classe diffère souvent de celle entendue au quotidien.

Contribuer à une société plus inclusive

Malgré une demande croissante, l’enseignement de l’arabe reste marginal. En 2017, seuls 10 000 élèves apprenaient l’arabe littéraire au collège et au lycée, soit 0,2 % des élèves, et à peine 500 à l’école primaire. Pourtant, on estime à cinq millions le nombre de personnes d’origine arabe et à neuf millions celles ayant une origine musulmane en France.

Le système éducatif peine à répondre à cette demande : en 2024, seuls sept postes au capes d’arabe ont été ouverts, sur un total de 1 271 pour toutes les langues vivantes. De plus, l’enseignement de l’arabe est souvent relégué à des horaires périphériques, tandis que le contenu des cours est parfois contrôlé par des pays étrangers ou par des associations, suscitant des critiques légitimes.

En l’absence de reconnaissance institutionnelle, de nombreuses familles se tournent vers des associations culturelles ou religieuses pour transmettre cette langue, ce qui alimente certaines inquiétudes. Cette marginalisation renforce le sentiment d’exclusion des jeunes issus de l’immigration, qui se retrouvent stigmatisés en France pour parler arabe et moqués dans leur pays d’origine pour leur maîtrise imparfaite de cette langue.

Pourtant, enseigner l’arabe pourrait être un vecteur d’intégration. Reconnaître les liens historiques entre la France et la culture arabe permettrait d’intégrer cette langue dans le récit national, contribuant ainsi à une société plus inclusive.

Sur le plan économique, l’arabe constitue également un atout stratégique. Cinquième langue la plus parlée au monde, avec plus de 400 millions de locuteurs, elle pourrait renforcer la position de la France sur les marchés du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. Intégrer l’arabe dans les musées, les bibliothèques ou même les documents administratifs favoriserait une meilleure compréhension entre les différentes composantes de la société française.

 

L’immense écrivain Khalil Gibran (1883-1931) dans son recueil de textes poétiques paru en 1923, Le Prophète, fait dire à son sage, Al Mustapha : « Et qu’est-ce que la connaissance de la parole sinon l’ombre d’une connaissance sans paroles ? » L’enseignement institutionnel de l’arabe offrirait aux jeunes issus de l’immigration un outil de valorisation de leur héritage culturel, tout en facilitant leur intégration au sein de la société française.

 

 

 

 

 

 

 

Source : Le Monde   – (Le 07 janvier 2025)

 

 

 

 

 

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