France – Santé : quand la médecine s’interroge sur ses « biais implicites raciaux »

Un cours pionnier, dispensé depuis un an à la faculté de médecine de Sorbonne Université, sensibilise les futurs soignants aux préjugés ethniques et à leurs conséquences en matière de soins.

Le Monde – « Soins différenciés, discriminations et racisme en santé ». L’intitulé du cours peut surprendre dans une fac de médecine, mais les étudiants de sixième année qui s’installent dans l’amphithéâtre du campus de l’hôpital Saint-Antoine (AP-HP), lundi 2 décembre, ne semblent pas s’en étonner outre mesure. S’ils sont largement sensibilisés aux questions de discriminations, c’est néanmoins leur premier enseignement sur un sujet encore rare dans les cursus des futurs médecins : celui des « biais implicites raciaux », qui peuvent influencer les prises en charge médicales. Les enseignantes, Priscille Sauvegrain, sage-femme et sociologue, accompagnée de Racky Ka-Sy, psychologue, dispensent ce cours créé en 2023 à Sorbonne Université. Et tentent de faire la synthèse des recherches dans ce domaine sensible, encore peu défriché en France.

La médecine, et son serment d’Hippocrate, ne supposent-ils pas que les médecins soignent leurs patients « sans aucune discrimination » ? L’examen clinique et la démarche médicale n’excluent-ils pas de tels biais ? Les intervenantes ont deux créneaux de trois heures, face aux étudiants, pour étayer l’existence de ces biais, en décrire les mécanismes et provoquer une prise de conscience.

Pour cela, la sage-femme part de son domaine, celui de la périnatalité, et les « soins différenciés » qu’elle a pris comme objet de ses recherches. Ce sont pour l’essentiel des patientes « noires », identifiées comme « africaines », à qui les soignants ne proposent pas, ou moins qu’à d’autres femmes, des préparations à l’accouchement. Des patientes qui vont être moins accompagnées lors de l’allaitement. Ou encore, moins orientées vers un psychologue…

En recueillant la parole des parturientes, mais aussi des soignants lors de sa thèse soutenue il y a une quinzaine d’années, Priscille Sauvegrain a mis au jour cette « figure idéale-typique de la mère africaine » qui marque les représentations mais aussi certaines pratiques à l’hôpital. Une femme qui « sait faire », renvoyée à une sorte d’état « naturel » maternel. Les petites phrases recueillies lors de ses entretiens avec des soignants, qu’elle partage avec les quelque 300 étudiants massés dans l’amphithéâtre, silencieux, l’illustrent sans aucun doute. « Je n’ai jamais vu un allaitement qui ne marche pas chez une Africaine », « elles n’intellectualisent pas ».

Certains indicateurs cliniques racontent pourtant autre chose : le taux de césarienne, souvent synonyme d’un accouchement plus difficile, atteint, au moment de sa thèse, 35 % chez les femmes nées en Afrique subsaharienne, contre 20 % en population générale. « Vous voyez, là, une réalité qui est invisibilisée par certaines représentations », insiste l’enseignante, attachée à l’équipe de recherche en épidémiologie périnatale EPOPé, à l’Inserm, qui poursuit ses recherches, avec le projet BiP : « Migrations et soins différenciés en périnatalité : effets des biais implicites ».

Un « protocole de terme ethnique »

Priscille Sauvegrain précise toutefois aux étudiants : des différences de prise en charge peuvent être « fondées sur des données médicalement probantes ». L’exemple le plus connu est celui de la drépanocytose, maladie génétique héréditaire touchant plus fortement certaines régions du globe, dont on a longtemps proposé le dépistage néonatal à des publics ciblés (des enfants nés de mères originaires d’Afrique subsaharienne, du pourtour méditerranéen, ou encore du Moyen-Orient). Avant qu’il ne soit généralisé, fin 2024, à tous les nouveau-nés.

En revanche, d’autres pratiques ne reposent, parfois, sur aucune donnée scientifique. Pendant des années, dans de nombreuses maternités françaises, il était courant de déclencher l’accouchement des femmes nées en Afrique subsaharienne, sous prétexte qu’elles auraient des grossesses plus courtes, raconte la chercheuse. Un « protocole de terme ethnique », pas véritablement assumé, issu d’un article de recherche franco-américain qui avait eu un écho dans les cercles médicaux français. Il a été écarté officiellement voilà quinze ans.

La démonstration passe aussi par des notions théoriques. C’est même la partie liminaire du cours : outre un rappel de la définition des « inégalités sociales de santé » et des travaux de l’anthropologue et sociologue Didier Fassin, qui, dès les années 1990, a documenté un « accès différencié aux soins » pour les étrangers, les deux enseignantes décrivent l’échelle des « catégorisations » qui affectent nos représentations, allant des « stéréotypes » aux « préjugés » et jusqu’aux « discriminations », interdites par le code de la santé publique. « Personne n’est imperméable aux stéréotypes et aux préjugés, ils s’activent très rapidement quand on n’a pas beaucoup de temps pour la prise de décision », rappelle la psychologue Racky Ka-Sy. Autrement dit, en situation d’urgence. « C’est un mécanisme de pensée, normal, au sens où il aide à aller vite. »

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Source : Le Monde

 

 

 

 

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