« À Dar El Naïm – La nuit du vendredi dernier
C’était une nuit ordinaire, comme toutes les autres nuits dans le quartier. J’étais assise près de mon père, rangeant mes livres universitaires et réfléchissant à la journée du lendemain : mes cours, le brouhaha de mes camarades, et les petits rêves que je semais dans mon imagination.
Mon père m’observait, ses yeux alourdis par les années et la maladie. Il semblait vouloir me dire quelque chose, mais son silence habituel restait maître. Peut-être se confierait-il à ma mère, qui venait de quitter la maison. Elle seule savait déchiffrer le langage de ses regards.
Soudain, un sentiment étrange m’a envahie, une sensation inexplicable, peut-être le vent qui s’était brusquement refroidi. J’ai ignoré ce pressentiment. Et comme la porte était entrouverte, j’ai décidé de la fermer complètement. C’est là que l’horreur a commencé.
Trois démons sous forme humaine se sont jetés sur moi d’un seul coup. Je n’ai même pas eu le temps de demander qui ils étaient ou ce qu’ils voulaient. Ils se sont précipités à l’intérieur avec violence. J’ai essayé de crier, mais l’un d’eux a posé un couteau sur ma gorge.
Je leur ai dit : « Prenez tout : l’argent, le téléphone… mais laissez-nous tranquilles. »
Je leur ai tendu mon téléphone avec une main tremblante. Ils semblaient prêts à partir, comme si ma requête avait éveillé un reste d’humanité en eux. Mais soudain, l’un d’eux s’est arrêté. Il s’est lentement retourné et a regardé mon père. Ce regard a marqué le début de la fin.
Il a dit d’une voix froide : « Si tu cries, on le tue. »
Le moment s’est transformé en une scène de film déformée. J’ai vu mon père, cloué sur son lit, essayant de bouger, de parler, mais la maladie était plus forte que toute volonté. Ses yeux disaient tout, des supplications silencieuses.
Ils m’ont emmenée dans la cuisine. L’endroit était exigu, encombré de nos modestes affaires. Là, ils ont arraché le masque de l’humanité pour devenir des monstres sans pitié. L’un après l’autre, ils ont commis leur crime, et moi, je tentais de me réfugier à l’intérieur de moi-même, de me cacher dans un coin sombre de mon âme, loin de ce corps qui ne m’appartenait plus.
Mon père était là. Il ne bougeait pas, ne disait rien, mais je sentais ses larmes. Des larmes qui ne coulaient pas sur ses joues mais à l’intérieur de lui. Il pleurait sans pleurer, et moi, je mourais sans crier.
Quand ils ont fini, ils sont partis en riant, comme des héros revenant victorieux d’une guerre où il n’y avait qu’une victime. Je suis restée dans cette cuisine, un morceau brisé de ce qui avait été autrefois une personne. J’étais là, seule, étreignant mon ombre fracassée, essayant de retrouver en moi ce qu’il restait de moi-même.
Oui, ils m’ont violée, mais ils n’ont pas volé mon droit de rêver. J’écrirai à leur sujet, sur cette nuit, sur mon père qui n’a rien pu faire. J’écrirai pour toutes les femmes qui ont ressenti la même douleur, la même amertume, le même égarement.
J’écrirai au président de la République : « Je suis une fille qui a été brisée et dont la vie est finie. Est-ce qu’une autre doit connaître le même sort ? »
En vérité, j’écris pour vous, pour parler du début de la fin. »
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