CHEIKH HAMIDOU KANE OU LE BÂTISSEUR DES TEMPLES DE NOTRE MÉMOIRE

Les belles feuilles de notre littérature par Amadou Elimane Kane

EXCLUSIF SENEPLUS – Si L’aventure ambiguë retraçait le choc culturel de l’Occident, Les Gardiens du Temple pose la problématique de la réappropriation de l’identité africaine à l’aide d’une reconstruction globale conscientisée et unitaire

Notre patrimoine littéraire est un espace dense de créativité et de beauté. La littérature est un art qui trouve sa place dans une époque, un contexte historique, un espace culturel, tout en révélant des vérités cachées de la réalité. La littérature est une alchimie entre esthétique et idées. C’est par la littérature que nous construisons notre récit qui s’inscrit dans la mémoire. Ainsi, la littérature africaine existe par sa singularité, son histoire et sa narration particulière. Les belles feuilles de notre littérature ont pour vocation de nous donner rendez-vous avec les créateurs du verbe et de leurs œuvres qui entrent en fusion avec nos talents et nos intelligences.

Cheikh Hamidou Kane est un écrivain rare. Rare car peu littérateur et peu bavard. Ces ouvrages littéraires au nombre de deux ne sont pas la répétition d’une œuvre qui aurait épuisé son souffle. Non, ses publications vont à l’essentiel et nous disent toujours, en même temps qu’ils racontent par leur construction romanesque, ce que nous devons retenir de notre histoire, de notre mémoire, de nos hésitations et de nos complexités humaines.

Si les livres de Cheikh Hamidou Kane appartiennent pleinement au patrimoine littéraire africain, ils sont aussi le reflet de la condition humaine, inspiré de la philosophie et des sciences sociales qui nous éclairent de toute leur intelligence, de toute leur splendeur remplie de générosité et d’humanité.

Après plus de vingt ans de silence et L’aventure ambiguë, publié en 1961, qui, par sa force philosophique, est devenu un livre culte de l’Afrique du 20ème siècle, Les Gardiens du Temple reprennent le fil du récit, interrompu par la fin tragique de Samba Diallo.

Situé juste après les Indépendances, ce livre-ci n’a pas encore effacé « l’ambigüité » des rapports entre les Africains, nouveaux maîtres de leur destin, et les anciens colonisateurs qui règnent encore comme des pères fondateurs, sûrs d’eux-mêmes et qui cherchent inlassablement à laisser leurs empreintes dans un monde nouveau qui aspire à la révolution et à la Renaissance.  Construit à partir de personnages dissemblables, aux expériences multiples, le récit des Gardiens du Temple est avant tout la tentative de réhabiliter l’histoire de l’Afrique ravagée par l’esclavage, la déportation et la colonisation.

Ce livre ultime de Cheikh Hamidou Kane parle de la réconciliation identitaire de l’Afrique avec les Africains et qui propose un nouveau mode d’appartenance culturelle et sociale, celui de l’union, celui de la tradition africaine sans revendication, sans aspérité, celui de la concordance qui est la seule planche de salut pour les hommes.

Par la bouche de Daba Mbaye, jeune historienne penseuse intellectuelle et politique, Cheikh Hamidou Kane envoie un message fort qui est celui de la reconstruction unitaire : « Il n’est de Renaissance de l’Afrique-mère que par l’unité, la solidarité fraternelle et le savoir ». En filigrane, Cheikh Hamidou Kane nous dit aussi que savoir c’est connaître, savoir c’est créer, savoir c’est avancer sur les voies de la renaissance africaine.

Mais les personnages de Cheikh Hamidou Kane, de Daba Mbaye à Salif Bâ ou encore Farba Mâri, s’ils sont profondément attachés à la tradition, ils n’en sont pas moins préoccupés par la mutation majeure qui appelle une refondation totale du continent africain qui doit abandonner les oripeaux d’une colonisation et d’une ère post-coloniale dévastatrices au profit de l’aventure humaine, pour voir renaître des peuples enfin réconciliés sur une voie commune, celle de l’unité fondamentale des civilisations : unité culturelle, unité politique et économique, unité sociale, unité humaine qui constituent les piliers des terres africaines de nouveau debout.

Mais Cheikh Hamidou Kane va encore plus loin. À travers les récits imaginaires de ses personnages, il clame une « libération totale du continent – États-Unis d’Afrique – socialisme africain » ! Nous y voilà car la pensée de Cheikh Hamidou Kane est constante depuis très longtemps, sa vision panafricaine s’accompagne du triptyque de l’unité, de l’éthique et de la fraternité.

Car à travers ce nouveau récit, Cheikh Hamidou Kane pose bien la question de la déontologie à ses semblables. Si L’aventure ambiguë retraçait le choc culturel de l’Occident qui conduisait Samba Diallo à l’anéantissement de lui-même, Les Gardiens du Temple pose la problématique de la réappropriation de l’identité africaine à l’aide d’une reconstruction globale conscientisée et unitaire qui vient fracasser la volonté coloniale qui est celle de la division, du malentendu et de la corruption organisée.

Cheikh Hamidou Kane prévient que si l’Afrique ne fonctionne pas en une unité solide au moyen de ses voies géopolitiques, culturelles et sociales, elle sera vouée à de nouveaux schismes et à la décadence qui seront les fantômes de la colonisation mais qui auront pris le visage d’un nationalisme exacerbé et stérile, d’un cercle vicieux retranché sur lui-même et qui contient un paradoxe insoluble, celui de l’enfermement.

C’est avec cette nouvelle ambigüité que se débattent les personnages de Cheikh Hamidou Kane mais lui, en narrateur omniscient et conscient, il donne les clés d’un monde meilleur à bâtir, celui de la confiance, celui de la dignité, celui de la transversalité et de la lutte solidaire.

 

 

Amadou Elimane Kane est enseignant et poète écrivain.

 

 

 

Source : SenePlus (Sénégal)

 

 

 

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