Pour Lilian Thuram, le racisme est un produit de l’histoire

« Si moi je suis noir, toi tu es quoi ? » a demandé un jour Lilian Thuram à un ami d’enfance. « Ben moi, je suis normal », a répondu l’ami.

Cette anecdote, consignée dans La pensée blanche, le dernier livre de Lilian Thuram, illustre bien le fondement de la réflexion de l’ancien champion du monde de soccer et président de la Fondation d’éducation contre le racisme qui porte son nom.

Ce qu’il veut démontrer, c’est comment l’hégémonie blanche, instaurée au cours des derniers siècles, continue de déteindre dans les aspects les plus intimes de la vie de chacun. Et comment, pour en prendre la mesure, il faut accepter de faire un pas de côté dans la lecture de l’histoire, de la conquête de l’Amérique par Christophe Colomb jusqu’au Code noir régissant l’esclavage de 1685 à 1848, et retirant aux esclaves le statut d’êtres humains. Ces deux épisodes sanglants de l’histoire ont d’ailleurs été motivés d’abord par des ambitions économiques.

« J’essaie d’abord de dire que le racisme, ça n’est pas quelque chose de naturel, parce que très souvent on entend ça. Et de dire qu’il y a une histoire du racisme, et que c’est d’abord et avant tout des volontés politiques liées à l’économie qui ont construit des hiérarchies entre les personnes selon la couleur de la peau », dit Thuram en entrevue.

Or, cette pensée qui a installé l’hégémonie blanche, cette majorité que l’on dit à tort « invisible », par opposition aux minorités dites « visibles », pour assouvir ses intérêts, est allée jusqu’à s’immiscer dans la pensée même de ceux qu’elle domine.

Dans son livre, Thuram reproduit une œuvre glaçante de Marcel-Antoine Verdier peinte en 1849, Le châtiment des quatre piquets dans les colonies, qui montre non seulement un homme noir étendu à terre et fouetté par un bourreau noir, mais un couple de Blancs avec un bébé, vraisemblablement les propriétaires de l’esclave, qui regardent la scène avec indifférence, protégés par une femme noire. « Ce que j’essaie d’expliquer, c’est que cette pensée blanche est partagée par toutes les populations du monde depuis des siècles. On a été éduqués en croyant à cette hiérarchie selon la couleur de la peau et à l’appartenance », ajoute-t-il.

[…] C’est d’abord et avant tout des volontés politiques liées à l’économie qui ont construit des hiérarchies entre les personnes selon la couleur de la peau

Ainsi, la mère de Thuram, originaire de la Guadeloupe, a grandi en se faisant dire qu’il serait préférable d’épouser un homme à la peau claire pour avoir des enfants à la peau « chapée » (dérivé du mot échappée), soit à la peau moins noire, raconte-t-il.

Thuram lui-même dit s’être fréquemment fait demander pourquoi il fréquentait des femmes noires, alors que le fait d’être en couple avec une Blanche aurait été, pour certains, un indicateur de sa réussite sociale.

« La réussite, cela va avec une belle maison, de l’argent, une belle femme. Mais la belle femme est toujours présentée comme une femme blanche », dit-il. Lilian Thuram affirme pour sa part avoir découvert qu’il était noir à neuf ans, à son arrivée à Paris, lorsqu’il a commencé à subir des insultes racistes. « C’est comme si on m’avait mordu et que je saignais de l’intérieur. J’ai demandé à ma mère pourquoi les gens avaient une image négative des Noirs et elle m’a dit : “ C’est comme ça, les gens sont racistes, ça ne va pas changer”, comme si c’était une fatalité, comme si c’était naturel », se souvient-il.

Des années plus tard, il fait la démonstration du contraire et déboulonne la pensée raciste inconsciente dans un livre très fouillé sur la question.

« Le racisme enlève une liberté de penser et de faire. Quand vous êtes un petit garçon noir, on vous fait vite comprendre que certaines opportunités ne sont pas pour vous. »

Mercredi, à l’occasion de la soirée d’ouverture du festival Fondu au Noir de Montréal, Lilian Thuram rencontrera en ligne trois jeunes femmes afrodescendantes : Diane Gistal, chercheuse, commissaire indépendante et fondatrice de Nigra Luventa, Tina Mpondani, artiste visuelle et fondatrice du club de lecture Book and Brunch, et Jessica Lubino, chargée de projet de mentorat interculturel chez Diversité artistique Montréal.

La pensée blanche

Lilian Thuram, éditions Mémoire d’encrier, Montréal 2020, 318 pages.

 

Source : Le Devoir (Québec) – Le 17 février 2021

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