Quand le président sénégalais Léopold Sédar Senghor défendait les Papous

En 1976, le chantre de la « négritude » avait offert une représentation à Dakar aux nationalistes en lutte contre l’autorité indonésienne. Car pour lui, les peuples mélanésiens étaient inclus dans le « monde noir » qu’il entendait promouvoir.

Le Monde  – « Pour ce qui est d’informer les Indonésiens sur les activités des Papous au Sénégal, il est préférable de laisser faire les Néerlandais ou les Australiens… » Cette communication diplomatique américaine datée de 1978 a de quoi étonner. Que font des Papous à Dakar, au mitan des années 1970, et pourquoi les Indonésiens s’en inquiéteraient-ils ?

A cette époque, plusieurs peuples mélanésiens rejettent l’autorité indonésienne sur des régions insulaires de l’Océanie, comme la partie orientale du Timor ou la partie occidentale de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. L’action de l’armée indonésienne et les résistances qu’elle rencontre font des dizaines de milliers de morts et de déplacés. Les mouvements indépendantistes ne reçoivent de soutien de la part d’aucun dirigeant dans le monde. D’aucun, sauf un : le Sénégalais Léopold Sédar Senghor. « Jusqu’à présent, seule la République du Sénégal nous a accordé une aide », assurait en 1976 Ben Tanggahma, représentant papou à Dakar, dans une interview à la revue américaine Black Book Bulletin.

Le prestige de l’Indonésie est alors grand. Sous la présidence de Sukarno (1945-1965), le pays a été le champion du tiers-mondisme politique en accueillant la conférence de Bandung, en 1955. Quand l’archipel bascule avec la prise de pouvoir de Suharto, il devient un allié des puissances occidentales.

L’intellectuel nigérian Wole Soyinka est connu pour avoir critiqué la pensée de Senghor et de la « négritude », concept central chez le dirigeant sénégalais. Mais en 2002, juste après l’indépendance du Timor oriental, il prend la plume pour défendre le rôle du poète-président, solidaire du combat des peuples mélanésiens. « Il a été le seul dirigeant africain à se soucier du destin de ces peuples et à les aider dans leur lutte pour l’autodétermination. Sa position se faisait même au mépris de la politique américaine… » Un portrait qui tranche avec la mémoire, largement répandue, d’un dirigeant timide à l’idée de s’opposer aux capitales occidentales.

« Nationalisme mélanésien »

En 1976, Léopold Sédar Senghor décide d’offrir aux Papous en lutte une représentation à Dakar. Le Gouvernement révolutionnaire provisoire de Papouasie-Nouvelle-Guinée occidentale (GRP), créé en 1971, envoie Ben Tanggahma au Sénégal. Il partage le catholicisme de Senghor. En plus d’un bureau, une voiture est mise à sa disposition. Le Sénégal accueille alors aussi des représentants de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et du Congrès national africain (ANC). Depuis Dakar, Ben Tanggahma, qui cherche à se rapprocher tant de ces mouvements de libération que des responsables africains, voyage dans des pays de la région.

L’attachement de Léopold Sédar Senghor au destin des peuples mélanésiens procède d’une logique. Wole Soyinka décrit la rigueur intellectuelle du président à ce sujet. Dans la vision du dirigeant sénégalais, certains peuples océaniens, à l’instar des Papous, sont inclus dans ce qu’il conçoit comme l’univers de la négritude. Le monde noir, pour lui, dépasse le continent africain et englobe les Caraïbes, mais aussi des pans de l’Asie et de l’Océanie. Le leadership papou, qui promeut un « nationalisme mélanésien », partage cette idée.

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  (Dakar, correspondance)

Source : Le Monde 

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