Le 360.ma – Chronique – Depuis un demi-siècle, ce pays magnifique n’a cessé de recevoir des coups. C’est ce pays à terre, blessé à mort, qui est de nouveau attaqué. Au bout du fil, un ami originaire de ce Liban attaqué. Silence. Pas un mot. Juste un souffle, celui d’une mauvaise respiration. Un long silence avec, au fond, une âme qui souffre tellement qu’elle ne peut plus rien dire.
Nous sommes en train d’assister à une nouvelle destruction du Liban, pays déjà malade, en crise grave, pillé par des Libanais qui sont partis avec les caisses de l’État. Aujourd’hui, un million de ses habitants quittent le Sud pour fuir les bombardements israéliens. Des populations civiles, qui n’ont terrorisé personne, se retrouvent du jour au lendemain sur les routes avec les bagages d’une vie.
Depuis un demi-siècle, ce pays magnifique n’a cessé de recevoir des coups. C’est ce pays à terre, blessé à mort, qui est de nouveau attaqué. Je pense à ses écrivains, je pense à mon ami Samir Kassir, assassiné (à 45 ans) par des éléments du Hezbollah, le 2 juin 2005, avec une voiture piégée -il était de père libano-palestinien. Je pense à ses poètes dont certains se sont suicidés.
Les mots ne suffisent plus pour dire la souffrance de ce peuple. Difficile de dire ce qu’on ressent. On ne trouve pas les mots.
Les mots qui disparaissent. Les mots qui s’envolent. Ils s’absentent devant le fracas des bombes et les nuages de cendres qui montent au ciel. Un ciel d’un bleu suspect, avec au fond des éclats d’objets non identifiés.
Il y a les mots blancs, ceux qui annoncent la mort, puis ceux qui prennent des couleurs pour dire l’impuissance des braves gens qui lèvent les yeux vers le ciel, incapables de dire quoi que ce soit. Ils se regardent, ramassent leurs affaires et prennent la route vers l’inconnu. L’hébétude de cette population qui, une fois encore, doit payer pour des crimes qu’elle n’a pas commis.
Les souvenirs se précipitent, comme des soldats mis en réserve. Les souvenirs ne s’ennuient plus. Ils arrivent à la rescousse du temps et de ses tragédies. Les années sont passées et les bombes se sont améliorées en efficacité. Elles tuent, mine de rien. Ça arrive dans un café, dans le marché ou dans le bus.
Des gens meurent sans savoir pourquoi. Dommages collatéraux. Le mauvais moment. Le mauvais lieu. Et puis cette frontière au sud, bombardée à volonté le 14 mars 1978, le 6 juin 1982, en avril 1996, dans l’opération «Raisins de la colère» décidée par Shimon Perez, puis en 2006…
Les mots tombent en même temps que les hommes. Ils chutent dans un fracas où le corps des enfants fait moins de bruit. On ramasse leur corps, ou ce qu’il en reste. Désespérant de devoir réunir des petits membres éparpillés. Le sang n’y est même plus. Les mots l’ont avalé. Faut nettoyer le sol. Le café reste ouvert.
Au bout du fil, un ami originaire de ce Sud attaqué. Silence. Pas un mot. Juste un souffle, celui d’une mauvaise respiration. Un long silence avec, au fond, une âme qui souffre tellement qu’elle ne peut plus rien dire.
Des images se suivent et se ressemblent. Nous sommes à Gaza? Non, au sud du Liban. Ah, bon! Et ces familles qui quittent leurs maisons en vitesse. Il y en a qui sont morts en ramassant un matelas, un oreiller, une corbeille de fruits. La bombe est tombée en plein milieu de la maison. Destruction assurée. Frappes «chirurgicales».
Je ferme les yeux. J’entends le souffle de mon ami et je crains le pire. Quelques heures plus tard, il m’appelle. Sa voix est normale, froide:
– Tu sais, notre ami Elias, Elias Al Khoury, notre ami écrivain, il vient de nous quitter. Il est mort de maladie. Une longue maladie comme on dit. Il aurait attendu quelques jours, peut-être serait-il mort sous une bombe. Lui qui a de tout temps porté au cœur la cause du peuple palestinien. Il était libanais, chrétien grec-orthodoxe. Il me manque tellement.
Source : Le 360.ma (Maroc)
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