Israël-Hamas : comment les médias tentent de raconter un conflit auquel ils n’ont pas accès

« 7-Octobre, un après. » L’impossibilité de se rendre dans la bande de Gaza, ainsi que le nombre de journalistes locaux tués, complique énormément une documentation indépendante de ce qui s’y passe depuis le 7-Octobre. Cette difficulté est renforcée par le caractère éruptif du sujet.

« Au rythme où les journalistes sont tués à Gaza, il n’y aura bientôt plus personne pour vous informer. » Il est un peu moins de 10 heures à Paris, jeudi 26 septembre, lorsqu’une trentaine de membres de Reporters sans frontières (RSF) brandissent, sur le parvis des Droits-de-l’Homme, à Paris, des gilets presse blancs maculés de faux sang. Selon le décompte de l’organisation non gouvernementale, 139 journalistes ont été tués, en majorité, dans des frappes israéliennes déclenchées après les attaques terroristes du Hamas du 7-Octobre – celles-ci ont fait quelque 1 200 morts, majoritairement des civils.

Son équivalent américain, le Committee to Protect Journalists (CPJ), en dénombre un total de 127. Soumises aux contrôles des autorités de l’Etat hébreu et du Hamas, les portes de Gaza sont devenues hermétiques pendant la riposte meurtrière israélienne post 7-Octobre (qui a tué plus de 41 000 personnes selon le ministère de la santé du Hamas). Cela a obligé les rédactions à s’organiser à distance, avec leurs correspondants gazaouis.

« C’est difficile de savoir à qui faire confiance, constate la grande reporter Martine Laroche-Joubert. Non seulement plus d’une centaine de journalistes ont été tués à Gaza, mais beaucoup ont quitté le territoire. D’autres sont également accusés de proximité avec le Hamas. » Pour le documentaire qu’elle a réalisé pour l’émission « Enquête exclusive », diffusé sur M6 le 15 septembre, la journaliste a fait appel à Shrouq Al Aila, la veuve de Rushdi Sarraj, source de nombreux médias occidentaux, tué en octobre 2023. En mêlant les images tournées par la jeune femme, celles de ses collègues palestiniens, ainsi que celles d’une humanitaire française, son enquête a levé le voile sur les conditions de la survie sur le petit territoire bombardé.

Le 28 septembre, l’émission « Arte reportage » s’est essayée au même exercice avec des vidéos envoyées par Rami Abou Jamous. Tout au long de l’année, le journaliste gazaoui a témoigné, sur un groupe WhatsApp, de ses difficultés quotidiennes à préserver son petit garçon de l’horreur environnante. « Rami travaille avec Arte depuis de longues années, ainsi qu’avec France 2, raconte la journaliste Nathalie Georges, qui signe le reportage.

Avant le 7-Octobre, il nous sensibilisait à une multitude de sujets par ce canal. Il a continué, tout en y mêlant un peu de sa vie privée, pour que nous documentions les faits. » « Nous », c’est-à-dire les 160 membres environ qui composent ce groupe, essentiellement des journalistes francophones et français. A partir de ce témoignage, France 2 prépare à son tour un sujet dans lequel les téléspectateurs devraient retrouver, dans le « 20 heures » du lundi 7 octobre, Rami et son fils.

Difficulté à « humaniser »

A Gaza, les quelques centaines de journalistes restants travaillent quand ils le peuvent pour les grands médias étrangers, lorsqu’ils ne sont pas à la recherche de nourriture, d’eau, d’électricité, d’Internet ou même de toit, fût-il de toile. Y compris ceux de l’Agence France-Presse (AFP). Les bureaux de la ville de Gaza de l’agence ont été évacués le 13 octobre 2023, sous les ordres de l’armée israélienne. Le 2 novembre, le bâtiment a été la cible des chars israéliens, comme l’a prouvé une enquête menée par un réseau de treize médias internationaux, dont Le Monde, et coordonnée par Forbidden Stories.

La dizaine de personnes qui travaillaient sur place, ainsi qu’une cinquantaine de leurs proches, ont fini par être exfiltrés, en avril, par la frontière égyptienne à Rafah. Quatre journalistes pigistes palestiniens ont pris le relais, que leurs collègues exilés à l’étranger aident autant qu’il leur est possible.

« Continuer à couvrir la région, même quand ce conflit sortait des radars ces dernières années, nous permet de conserver des capacités à analyser, même à distance », estime Nicolas Falez, ex-correspondant de Radio France internationale à Jérusalem, qui s’est rendu au Proche-Orient cinq fois depuis un an. Cette expérience ne permet toutefois pas d’écarter complètement la crainte, et le risque, d’une couverture déséquilibrée des événements. « La difficulté de ne pas être présents physiquement à Gaza, c’est qu’on peut plus difficilement humaniser » les souffrances des populations civiles, souligne ainsi Sonia Delesalle-Stolper, cheffe du service Etranger à Libération.

« L’objectif d’Israël est clairement de réduire les journalistes au silence, condamne Jonathan Dagher, responsable du bureau Moyen-Orient de RSF. Aujourd’hui, on se retrouve confronté à la désinformation de l’armée israélienne et du Hamas, c’est très dangereux. » Pour sa collègue Jodie Ginsberg, à la tête du CPJ, « le modèle mis en place depuis un an par l’Etat d’Israël n’est pas cohérent avec l’exercice d’une démocratie et d’une presse libre ».

Selon plusieurs témoignages de journalistes, il arrive aux autorités israéliennes de reprocher parfois publiquement aux médias certains termes employés, susceptibles de contredire la lecture des événements qu’elles aimeraient voir prédominer. Elles sont cependant loin d’être les seules à vouloir influencer les récits. « La combinaison des déclarations de responsables politiques populistes et des réseaux sociaux n’a jamais été aussi toxique », analyse Phil Chetwynd, le directeur de l’information de l’AFP, estimant qu’elle constitue une « force de déstabilisation » au détriment de l’information.

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Source : Le Monde

 

 

 

 

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