La nouvelle aura de LinkedIn, où l’émotion a pris une place prépondérante

Décryptage - Des échanges respectueux, des contenus argumentés : la plate-forme bénéficie d’une nouvelle jeunesse. Mais s’y faire remarquer est presque un job à plein temps.

Le Monde – Un réseau social « de vieux », un peu « hypocrite », avec « ces gens qui exposent leur nouveau poste et les commentaires qui répondent “bravo” »… Voilà le regard que Marie, géographe de 26 ans, portait il y a peu sur LinkedIn, le réseau social des professionnels. « Mais ça a complètement changé, maintenant j’en ai une vision très positive. » Ce revirement date d’il y a moins de deux ans. Après avoir lancé une chaîne de vulgarisation en géographie sur YouTube, la Bordelaise, qui préfère garder l’anonymat, est déçue des réactions rencontrées sur la plate-forme de vidéos, mais aussi sur X ou encore Facebook. « C’était des messages souvent sans intérêt, il y avait très peu de retours constructifs… »

Suivant les conseils d’un ami, elle commence à partager ses vidéos sur LinkedIn, un peu sceptique. « Et là, beaucoup de personnes m’ont contactée ; des chercheurs, des professionnels, des personnes vraiment intéressées par le sujet, qui ont apporté des commentaires utiles sur mon travail. » Elle y passe alors davantage de temps et s’étonne d’y trouver des contenus de qualité, des analyses fouillées. « Je ne vois ça nulle part ailleurs, remarque-t-elle. Sur LinkedIn, je trouve vraiment à me nourrir intellectuellement. »

Le site se serait-il métamorphosé ? Lancé en mai 2003, il a alors pour principale promesse à ses utilisateurs de garder le contact avec leur réseau professionnel. Ses fondateurs, parmi lesquels Reid Hoffman, un ancien dirigeant de PayPal, sont tous issus du monde bouillonnant des start-up de la Silicon Valley, où les ingénieurs, passant régulièrement d’une entreprise à l’autre, sont difficiles à suivre. Si, petit à petit, le public de la plate-forme s’élargit au-delà du monde de la tech, son contenu reste dans ses premières années bien terne par rapport à la pétulance d’autres sites émergents, comme Facebook, lancé en 2004, ou Twitter, en 2006. Sur LinkedIn, au design aussi austère qu’une salle de réunion, on se contente bien souvent de remplir son CV et de collectionner les contacts.

La plate-forme de 2024, qui appartient désormais à Microsoft, a bien changé. Certes, les « Je suis très heureux de vous annoncer que je rejoins la merveilleuse équipe de… » inondent toujours le réseau. Mais les messages publiés par les utilisateurs se sont multipliés et diversifiés. Entre 2021 et 2023, le nombre de contenus partagés sur le site a bondi de 42 %, selon les chiffres de l’entreprise. S’y connecter, c’est désormais voir défiler des posts, photos et vidéos de toutes sortes, dans une atmosphère relativement apaisée. On y trouve pêle-mêle des réflexions sur le monde du travail et la société, des partages de connaissances sur un domaine particulier et, chose étonnante pour cette plate-forme professionnelle, de plus en plus de contenus personnels, entre selfies, confidences et annonces de mariage.

« Des stratèges de LinkedIn »

Si LinkedIn est un moyen efficace pour les professionnels de rester informés sur les évolutions de leur secteur, l’émotion y a pris une place prépondérante. Michel Khoury peut en témoigner. En trois ans, il a conquis plus de 340 000 abonnés, devenant l’un des Français les plus suivis de la plate-forme. Ce Montpelliérain de 41 ans, ancien propriétaire de pressing, n’hésite pas à s’y mettre à nu. « Je vous l’avoue, je viens de sortir d’un burn-out », écrivait-il par exemple cet été. Souvent, il publie des selfies pour accompagner ses messages de motivation à destination de ses abonnés.

Selon lui, publier du contenu personnel sur le réseau a un sens sur le plan professionnel. « Si un chef d’entreprise ne fait que diffuser des infos business, personne ne va regarder. Mais, s’il raconte sa journée, il va créer un attachement. Ce n’est plus le produit que les gens vont acheter, mais le chef d’entreprise. » Pour Fabienne Arata, directrice de LinkedIn France, « il faut voir LinkedIn comme une chambre d’écho de l’évolution du rapport au travail et des conversations dans l’open space ». Le confinement et ses visioconférences où apparaissaient chats et enfants ont brouillé la frontière entre vie professionnelle et vie privée. En ligne, les travailleurs ont eu besoin de se livrer, et les messages se sont multipliés. « Au début, ils ont partagé beaucoup d’émotions difficiles : “Je me sens noyé, je ne sais pas comment faire avec mes enfants”, se souvient Fabienne Arata. Ensuite, on est passé sur des conseils : “Voici comment faire, voilà ce que j’ai mis en œuvre dans mon entreprise.” »

C’est à cette époque que Caroline Mignaux est arrivée sur le réseau. « J’ai commencé LinkedIn parce que je me sentais seule. Seule, chez moi. Seule, avec mes questions. Seule, avec mes peurs et mes doutes », écrivait-elle sur le site en juin. Cette spécialiste du « growth marketing » décrit un licenciement à 28 ans, puis un retour chez ses parents. « J’étais désespérée, et mon premier réflexe a été de m’inscrire sur LinkedIn. J’ai trouvé un job comme ça. » Elle ne délaisse pas pour autant le réseau social, bien au contraire. « Je me suis rendu compte que sur LinkedIn, quand tu oses te montrer, les opportunités pleuvent. » Alors elle continue à publier, partage son expertise, lance son podcast, cumulant plus de 125 000 abonnés. Une expérience qu’elle relate dans un livre, From zero to hero. Bâtir son influence sur les réseaux (Eyrolles, 254 pages, 23 euros)Si la plate-forme s’est « coolifiée » ces dernières années, c’est, pense-t-elle, en partie grâce à l’essor des travailleurs indépendants, « qui se sentent un peu seuls ».

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Source : Le Monde

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