Peut-on être heureux en couple sans partager les mêmes opinions politiques ?

On dit bien souvent que «qui se ressemble s'assemble». C'est souvent vrai. Au point de ne pas pouvoir construire une connexion amoureuse sans compatibilité des valeurs ?

Slate  – Ces derniers mois, le contexte social et politique particulièrement tendu n’a pas manqué de provoquer de vifs débats au sein des familles, des groupes d’amis… Mais aussi des couples. «Avec mon conjoint qui ne partage pas mes valeurs socialistes et écologistes, la période a été très tendue, témoigne Clara, 30 ans. Même si nos opinions ne sont pas radicalement opposées, son côté entrepreneur ultralibéral m’est devenu insupportable pendant la période des élections européennes et législatives, durant laquelle tant de questions sociales étaient en jeu.»

Prises de bec régulières, tentatives de compromis, évitement des sujets polémiques… Comment vit-on la divergence politique au sein du couple? Peut-on maintenir une relation sereine malgré tout? «Nos idées politiques sont révélatrices de la manière de concevoir le monde qui nous entoure, explique Aurore Malet-Karas, docteure en neurosciences et sexologue. C’est donc un enjeu majeur au sein des couples, particulièrement lorsque les individus sont politisés, car on recherche toujours, inconsciemment ou non, une forme de compatibilité avec nous chez l’autre. L’humain a un fort instinct grégaire: bien souvent, qui se ressemble s’assemble.»

Une vie sans politique est-elle possible ?

 

Ça ne nous aura pas échappé, aujourd’hui, la politique n’a de cesse de s’inviter dans les conversations. Pour Aurore Malet-Karas, il n’y a rien de plus naturel à cela. «Tout ce qui constitue notre quotidien est politique, avance la sexologue. Comment on s’habille, ce que l’on mange, où on habite, notre rapport à l’autorité, ce que l’on consomme, etc. Les lois décident de nos droits et fixent les interdits. Qu’on le veuille ou non, notre vie privée est un sujet politique. Il n’y a rien d’étonnant à ce que ces sujets soient discutés régulièrement avec notre entourage.»

Pour autant, cette percée du politique dans nos interactions quotidiennes en dit long sur notre époque, sujette à une polarisation renforcée sur les sujets de société, particulièrement les sujets passionnels que sont l’immigration, l’égalité femmes-hommes, le dérèglement climatique, etc. Alors que notre société nous semble de plus en plus inégalitaire et injuste, les débats sociétaux avec l’entourage sont le lot quotidien de nombreux citoyens.

Un aspect caractéristique de l’époque vient appuyer cette tendance: l’effet de «chambre d’écho» produit par les réseaux sociaux, dont les algorithmes nous abreuvent de contenus émotionnels qui suscitent l’engagement et nous confortent dans nos opinions. Ce matraquage en bonne et due forme contribue bien souvent à mettre le feu aux poudres avec notre entourage, par voie virtuelle comme en présentiel. «Nous sommes tous constamment bombardés d’informations sur des sujets polémiques qui viennent souvent faire naître un sentiment d’indignation. Tout le monde semble avoir un avis très tranché sur tout. Ça ressort dans les moments que l’on passe avec nos proches et forcément aussi avec notre partenaire», analyse Jean, 58 ans.

L’amour, cet objet éminemment politique

 

Pour Eva Illouz, sociologue spécialiste du lien entre capitalisme et émotions, il n’y a pas plus politique que l’amour. «Ce qui est en jeu dans l’amour, c’est l’inscription du politique et de l’économique dans l’intime, déclarait-elle en 2020 sur France Culture. Notre existence, jusque dans ses recoins les plus intimes que sont le couple, la famille, la santé, le corps, la sexualité, sont politiques. Ce sont aussi précisément dans ces endroits que se jouent les mécanismes de domination les plus ancrés.»

Dans son essai La Fin de l’amour, publié en février 2020, la sociologue franco-israélienne rappelle que, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, le partenaire amoureux était vécu comme «une transcendance». Il était perçu comme l’élément central de la vie du conjoint. Puis la conquête de la liberté sexuelle et l’intensification du capitalisme ont fait évoluer nos perceptions du couple.

Appuyée par le cinéma, la publicité, la télévision ou la mode, la société de consommation telle qu’on la connaît aujourd’hui a mené les individus à placer leur propre image au cœur de leurs préoccupations. Progressivement, on a séparé la rencontre sexuelle des relations émotionnelles. L’amour est devenu un facteur d’individualisation et un vecteur de liberté. D’après Eva Illouz, on attend désormais de l’autre qu’il s’inscrive dans la lignée de l’identité que l’on s’est construite et de l’image que l’on souhaite renvoyer au monde.

 

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Hélène Bourelle – Édité par Émile Vaizand

 

 

 

 

Source : Slate (France)

 

 

 

 

 

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