Afrique XXI – Série (4) · En l’espace de quelques années, le Mali, le Burkina Faso et le Niger, trois pays considérés comme relevant du « pré carré » français, ont rompu leur coopération militaire et diplomatique avec l’ancienne puissance coloniale et se sont rapprochés de la Russie, sur fond de guerre contre les groupes djihadistes. Une révolution diplomatique qui a suscité des espoirs de changement, mais qui vire parfois au cauchemar. Direction le Niger dans ce quatrième et dernier épisode.
Dimanche 21 avril 2024. Agadez, au centre du Niger, est une grande zone urbaine dont les maisons sont pour la plupart construites en terre ocre. Il y a très peu d’arbres dans cette ville pauvre, située à plus de 900 km au nord-est de la capitale, Niamey.
Le soir, la ville regorge de jeunes oisifs, de toxicomanes et de travailleuses du sexe. Beaucoup d’entre eux sont des migrants. «Ces jeunes viennent d’autres régions pour chercher de l’or dans le désert! Malchanceux et déçus par la vie, ils ont peur de rentrer chez eux avec l’impression d’avoir échoué, c’est pour cela qu’ils restent à Agadez et font toutes ces choses», explique Abdellah, un jeune enseignant qui a accepté de nous faire visiter la ville.
Abdellah exulte à l’idée que dans deux jours se déroulera une marche contre les États-uniens et contre «l’impérialisme occidental», comme il l’appelle, qui est selon lui la source de tous les maux des Nigériens. En avril 2024, Agadez abritait la base 201 sur laquelle se trouvaient encore plus de 1 000 soldats états-uniens1.
«Un signal fort à ceux qui pensent pouvoir un jour revenir»
Deux jours plus tard, à midi, le thermomètre indique déjà 45 °C. Malgré la canicule, les rues sont bondées de gens qui scandent des slogans hostiles à la présence militaire états-unienne dans la ville. Le visage buriné par la colère, le corps en sueur, les manifestants brandissent des banderoles ciblant les États-Unis. Parmi eux, trois jeunes se tiennent à l’écart. Ils imprègnent de gasoil un tissu aux couleurs états-uniennes avant d’y mettre le feu. La foule se met à crier : «À bas l’Amérique!», «À bas la France!»
En haut d’ un véhicule, des haut-parleurs assourdissants diffusent le tube du chanteur ivoirien Alpha Blondy :
Armée française! Quittez-nous… Nous ne voulons plus de vous… Nous ne voulons plus de fausse indépendance sous haute surveillance…
À la tribune, les autorités régionales et les dignitaires coutumiers et religieux attendent au grand complet. Le discours d’un ouléma très respecté appelle à une rupture totale avec les pays occidentaux «sataniques».
Le général de brigade Ibra Boulama, gouverneur d’Agadez, félicite les manifestants : «C’est la preuve que vous êtes véritablement attachés à la souveraineté de notre pays! Vous envoyez un signal fort à ceux qui pensent pouvoir un jour revenir et recoloniser l’Afrique de force…» Ses mots sont accueillis par des cris de joie. Les réseaux sociaux ont contribué à préparer l’ambiance. Dix jours plus tôt, c’est à Niamey qu’un tel rassemblement avait été organisé.
Ces campagnes sont certes fabriquées, mais les Nigériens ressentent depuis longtemps une colère profonde contre le colonisateur français, contre les régimes précédents de Mahamadou Issoufou et de Mohamed Bazoum, jugés trop favorables à la France, et contre l’Occident en général. «L’ancien régime? Qu’ont-ils fait pour les pauvres? Des milliards de francs CFA ont été détournés au su des dirigeants, mais le pouvoir politique a empêché [que les voleurs] soient poursuivis», s’insurge Marouma, 45 ans, acteur de la société civile et farouche défenseur des militaires au pouvoir.
La plupart des Nigériens se souviennent très bien qu’en février 2020, sous la présidence d’Issoufou, un audit avait révélé l’existence d’un vaste réseau d’opérateurs économiques ayant surfacturé des commandes d’équipements destinés à l’armée. Plusieurs commandes passées pour un total de 76 milliards de FCFA (environ 116 millions d’euros) n’ont même pas été livrées. Jusqu’à maintenant, ce dossier n’a pas été jugé.
La France, «source de tous nos problèmes»
Pour beaucoup, l’exploitation par la France de l’uranium du Niger constitue un traumatisme profond. Une organisation de la société civile, ICON, a récemment publié un rapport critiquant la société minière française Orano. Celle-ci aurait demandé à l’État du Niger de «recentrer» les investissements promis, en passant outre une dette de près de 900 millions d’euros attribuée à sa filiale exploitant la mine d’Imouraren, tout en revenant sur la promesse de 40 millions d’euros de projets de responsabilité civile.
Cet accord a été ressenti comme une gifle, après le long combat de la société civile pour un vrai partenariat entre les deux pays dans le secteur minier. Le militant Salifou Manzo estime que le régime précédent a prouvé qu’il était plus fidèle à Orano qu’à ses citoyens en «signant l’abandon de la totalité de la dette d’Imouraren pour consolider la situation financière de l’entreprise».
«Si nous sommes le dernier pays pauvre de la planète, c’est simplement parce que la France l’a voulu! Areva, aujourd’hui Orano, exploite l’uranium du Niger depuis près de cinquante ans, mais qu’est-ce que le Niger a honnêtement gagné? Rien que de la poussière et de la pollution! Plus de 30% de l’uranium d’Orano provient des mines de Somaïr et de Cominak, où nous souffrons du manque d’eau, du manque d’électricité, de la pollution humaine et environnementale. Nous sommes ici irradiés», déclarait Almoustapha Alhacen, président de l’ONG Aghir In’Man et lauréat du prix «Pour un futur sans nucléaire» 2017, en mai 2024, à Arlit, au nord du Niger.
Source : Afrique XXI
Suggestion de Kassataya.com :
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