Au Sahel, bye bye Paris, bonjour Moscou

Hôtel Kremlin - Mali, Burkina Faso, Niger

Afrique XXI  – Série (1) · En l’espace de quelques années, le Mali, le Burkina Faso et le Niger, trois pays considérés comme relevant du « pré carré » français, ont rompu leur coopération militaire et diplomatique avec l’ancienne puissance coloniale et se sont rapprochés de la Russie, sur fond de guerre contre les groupes djihadistes. Une révolution diplomatique qui a suscité des espoirs de changement, mais qui vire parfois au cauchemar.

Alassane Kiemdé, vendeur de vêtements dans les rues du marché de Ouagadougou, au Burkina Faso, croit encore que la solution à la crise de son pays réside « dans le partenariat avec la Russie ». Comme de nombreux citadins, il ne souhaiterait rien de plus que la fin du terrorisme afin que l’on puisse de nouveau visiter leur village natal, et il estime que l’armée française a échoué lamentablement. « Les régimes passés ont perdu beaucoup de temps en comptant sur la France, estime-t-il. Si nous avions été du côté de la Russie dès le début, le terrorisme aurait été réprimé depuis longtemps. » Autour de lui, plusieurs commerçants sont d’accord. Une autre raison pour laquelle ils soutiennent la Russie, disent-ils, est liée au fait que ce pays, contrairement à l’Occident, partage certaines « valeurs culturelles africaines » – notamment en ce qui concerne le rejet de l’homosexualité, pensent-ils.

Dans les pays sahéliens voisins du Burkina, beaucoup tiennent le même genre de propos. Dans les villes du Mali, où une junte pro-russe a pris le pouvoir en août 2020, des pancartes et des discours radiophoniques diffusent tous les jours des slogans antifrançais et anticoloniaux. Au Niger, les jeunes militants politiques n’ont pas cessé de célébrer l’arrivée des nouveaux dirigeants militaires en 2023, lesquels ont choisi de s’associer à la Russie plutôt qu’à la France.

L’activiste de renom Nouhou Arzika, président du Mouvement pour la promotion de la citoyenneté responsable – un mouvement de la société civile persécuté sous les régimes précédents et désormais proche de la junte –, est heureux que les récents changements aient mis son pays en avant sur la scène mondiale. « Maintenant, tout le monde parle du Niger », déclare-t-il, satisfait, quelques semaines seulement après de grandes célébrations antifrançaises et prorusses qui ont secoué la capitale, Niamey, et la deuxième ville du pays, Agadez, où les foules dansaient sur le tube du chanteur ivoirien Alpha Blondy : « Armée française ! Laissez-nous… Nous ne voulons plus de vous… Nous ne voulons plus d’une fausse indépendance sous surveillance étroite… »

« Rien que de la poussière et de la pollution ! »

 

La France est critiquée au Sahel pour son incapacité à aider ses partenaires gouvernementaux de manière efficace dans leur lutte contre les groupes djihadistes. De nombreux observateurs, dont Bram Posthumus, membre du réseau ZAM, rappellent que des attaques françaises contre des villageois déjà tourmentés ont été perçues comme cruelles et indiscriminées. Ce ressentiment a été renforcé par les gouvernements précédents, faibles, corrompus et soutenus à bout de bras par la France. Alors que Bamako récoltait des centaines de millions d’euros d’aide, les citoyens du Mali voyaient les programmes des repas scolaires dévorés par des prédateurs associés au gouvernement.

Les Nigériens, pour leur part, souffrent encore de la pollution et des maladies causées par l’exploitation de l’uranium dans leur pays, grandement facilitée par un régime qui préférait signer des contrats lucratifs et garnir les poches des élites plutôt que de se soucier de la population affectée. « Si nous sommes le pays le plus pauvre de la planète, c’est simplement parce que la France l’a voulu ! [Elle] exploite l’uranium du Niger depuis presque cinquante ans, mais qu’a réellement gagné le Niger ? Rien que de la poussière et de la pollution ! Nous sommes irradiés ici », dénonce Almoustapha Alhacen, de l’ONG Aghir In’Man.

Il n’a pas fallu longtemps à la Russie pour commencer à tirer parti de la situation. Au Burkina Faso, tout au long de l’année 2022 (jusqu’en septembre, avec le coup d’État d’Ibrahim Traoré), des campagnes comptant des centaines de messages sur les réseaux sociaux critiquaient l’ancien chef de l’État, lui-même arrivé au pouvoir après un putsch, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba le traitant d’allié « lâche » de la France et accusant sa junte de « manquer d’intérêt pour explorer des partenariats avec des alliés anticoloniaux comme la Russie ». Les campagnes vantaient simultanément le prétendu succès de la force paramilitaire russe Wagner (renommée Africa Corps) dans la lutte contre le terrorisme au Mali.

Au Niger, les annonces de manifestations antifrançaises semblaient partiellement influencées par les trolls russes. « Ce n’était pas tant la Russie qui créait un terrain fertile pour une prise de contrôle » dans la région, selon l’analyse du professeur Augustin Loada, de l’université de Ouagadougou, « mais plutôt la Russie qui en faisait habilement usage. »

Une dégradation sécuritaire permanente

 

Mais les paramilitaires russes n’ont pas du tout rendu le Sahel plus sûr. Fin 2023, The Blood Gold Report (compilé par une équipe de recherche composée de diverses organisations internationales prodémocratie et axé sur les liens entre les sociétés minières, les gouvernements africains autoritaires et les mercenaires russes) comptait plus de 600 citoyens tués par Wagner dans les villages du Mali. Simultanément, toujours au Mali, la junte achetait de plus en plus d’armes à la Russie, faisant augmenter les dettes publiques au point que le pays ne peut plus payer le diesel nécessaire au fonctionnement de ses générateurs électriques. Aujourd’hui, il est plongé dans l’obscurité chaque soir, de nombreuses petites entreprises ont dû fermer leurs portes, et la criminalité est en hausse dans les villes.

Une augmentation de la criminalité qui frappe également la capitale du Burkina Faso, Ouagadougou, ainsi que des villages. Les massacres perpétrés par l’armée y sont également devenus plus fréquents et n’ont pas vraiment réduit la menace djihadiste. Selon un rapport de l’Institut pour l’économie et la paix, qui produit chaque année l’indice international du terrorisme dans le monde, le Burkina a été le pays le plus touché par le terrorisme en 2023.

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Ramdane Gidigoro

Journaliste sous pseudonyme.

Malick Sadibou Coulibaly

Journaliste sous pseudonyme.

Rachid Zaïd Combary

Journaliste sous pseudonyme.

 

 

 

Source : Afrique XXI

 

 

 

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