Au Niger, Mohamed Bazoum, l’inflexible captif de la junte

Le chef de l’Etat renversé par un putsch, en juillet, se refuse à démissionner. Il est détenu à Niamey depuis plus de quatre mois, avec son épouse et leur fils.

Le Monde  – Il tient. Mohamed Bazoum résiste, alors qu’un simple trait de crayon pourrait mettre fin à sa captivité. Depuis le coup d’Etat du 26 juillet, qui l’a renversé, ses tombeurs attendent qu’il appose sa signature au bas d’une lettre de démission. Mais celui qui a été élu un dimanche de février 2021 s’y refuse, quitte à rester prisonnier avec son épouse, Khadija Mabrouk, et leur fils, Salem, 22 ans.

Depuis plus de cent trente jours, Mohamed Bazoum et les siens sont enfermés dans la résidence présidentielle, où ses anciens protecteurs se sont mués en geôliers. Le général Abdourahamane Tiani, ancien chef de la garde présidentielle et aujourd’hui leader de la junte, a posté des soldats en armes à l’intérieur même de la villa blanche, située au bord du fleuve Niger. Selon l’entourage du dirigeant renversé, seul un médecin a désormais accès aux reclus. Leurs téléphones ont été confisqués. « Si quelqu’un prétend qu’il arrive à leur parler, c’est un mensonge », prévient d’emblée un proche de la famille.

Les conditions de détention du prisonnier Bazoum, qui pouvait encore par quelques ruses s’entretenir avec Emmanuel Macron et des chefs d’Etat de la région, se sont durcies depuis que le nouveau pouvoir l’a accusé d’avoir tenté de s’évader, dans la nuit du 18 au 19 octobre. « C’est une supercherie, montée de toutes pièces par la junte pour justifier auprès des Nigériens la surveillance accrue qu’elle a mise en place dans la foulée », dénonce Hamid N’gadé, l’un de ses conseillers. A l’extérieur du palais, la famille et les proches du président déchu se disent traqués. Depuis mi-octobre, plusieurs d’entre eux ont été arrêtés.

« Le président s’est senti trahi »

Il en faut manifestement plus pour faire flancher Mohamed Bazoum, 63 ans, fer de lance du combat pour l’instauration de la démocratie dans son pays depuis quarante ans. Ses voisins du Mali, Ibrahim Boubacar Keïta, puis du Burkina Faso, Roch Marc Christian Kaboré, avaient capitulé sans résistance face aux militaires qui les ont délogés de leurs fauteuils présidentiels respectifs. Mais le philosophe de formation, militant de terrain, est fait d’un tout autre bois.

Après que les militaires ont menacé de le poursuivre pour haute trahison, ses avocats ont saisi la Cour de justice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), fin septembre, pour tenter d’obtenir sa libération et sa réinstallation à la tête du pays. Les présidents des pays voisins, inquiets de la succession des coups d’Etat dans la région – deux tentatives ont été dénoncées ces derniers jours en Sierra Leone et en Guinée-Bissau –, devraient encore plaider sa cause lors du sommet de la Cedeao, dimanche 10 décembre. Une fois de plus.

Ces quatre derniers mois, Mohamed Bazoum a vu ses soutiens les plus engagés s’effacer face à un pouvoir militaire qui ne cède rien et se tourne ostensiblement vers Moscou. Sous injonction de la junte, la France a commencé le retrait accéléré de ses soldats du Niger. Les Etats-Unis font profil bas dans l’espoir de conserver leurs bases militaires. Leur nouvelle ambassadrice a été accréditée début décembre. La Cedeao semble avoir remisé pour longtemps ses plans d’intervention armée.

Mais le pire touche à l’intime. Selon ses proches, Mohamed Bazoum s’est résolu à l’idée que son ami, mentor et prédécesseur à la présidence du pays, Mahamadou Issoufou, dont il fut le ministre des affaires étrangères et de l’intérieur, est le marionnettiste qui tire les ficelles.

L’ancien dirigeant avait, en apparence, tenté, lors des premières heures du coup d’Etat, de convaincre le général Tiani, qu’il avait placé à la tête de la garde présidentielle, de retourner dans sa caserne. Sa médiation n’a pas porté ses fruits et, à la différence de bon nombre de cadres associés à l’ancien régime, l’ancien président vit sans inquiétude dans sa résidence de Niamey. « Bazoum, comme nous tous, a dû se rendre à l’évidence, confie ainsi Kiari Liman-Tinguiri, ancien ambassadeur du Niger à Washington. Issoufou est clairement à l’origine du putsch. Nous n’avons plus de doutes là-dessus. Le président s’est senti trahi. »

« Prisonnier de cette machine pourrie »

Pour appuyer leurs accusations, les membres de l’entourage du président captif rappellent que son renversement s’est produit à la veille d’un conseil des ministres au cours duquel devait être entérinée la création de PetroNiger, une société destinée à gérer les ressources pétrolières alors que le pays s’apprête à devenir exportateur d’or noir. Mohamed Bazoum entendait, selon eux, à travers PetroNiger, reprendre la main sur un secteur jusqu’alors tenu par des proches de M. Issoufou.

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Source : Le Monde – (Le 07 décembre 2023)

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