Sénégal : « Ce coup d’Etat démocratique est un gage de la pertinence d’une démocratie souvent accablée mais si précieuse »

Pour le journaliste et écrivain Elgas, « dans le contexte sous-régional de détricotage de la démocratie, ce sursaut plein de panache doit incarner un espoir panafricain ».

Tribune. Avec le triomphe de Bassirou Diomaye Faye à l’élection présidentielle, c’est une longue et éprouvante séquence politique qui vient de s’achever au Sénégal. Sans rien enlever au mérite de ce dernier, la figure centrale de cette victoire reste son mentor, Ousmane Sonko. Un absent si omniprésent. La démocratie sénégalaise balbutiante, récemment rudoyée par l’entêtement coupable de l’ancien régime, a tenu.

Mieux, elle sort renforcée par cette élection inédite, tant dans son processus accéléré, dans son début chaotique, et jusqu’à cette victoire éclatante de l’opposition dès le premier tour. Elle place un peu plus le pays dans une position particulière, celle de phare dans une région sahélienne malade des transitions politiques.

Les premiers mots du nouvel homme fort de Dakar, improvisés et un peu hésitants, ont donné des gages rassembleurs. Sans triomphalisme trop tapageur, et bien loin de la verdeur radicale du discours qui fut longtemps l’identité du parti Pastef, cette pondération est la suite logique d’une campagne express de pacification. Un virage pendant lequel le tandem Ousmane Sonko-Bassirou Diomaye Faye, dès sa sortie de prison, a ménagé son principal bourreau, le président sortant Macky Sall, sacrifiant l’invective plus radicale sur l’autel d’une réconciliation à marche forcée.

Devant l’euphorie légitime d’un peuple souverain par les urnes, il convient pourtant d’examiner tout le tableau de cette dernière séquence politique, avec distance et sang-froid. Il révèle, entre autres apories et zones d’ombre, des blessures qu’il appartiendra au nouveau régime de panser. Une guérison qui sera nécessaire pour que le pays puisse reconquérir ce qu’il a de plus cher sur le plan politique, et qu’il a perdu dans la bataille : sa cohésion nationale.

Inanité d’un régime finissant

Avant toute chose, on ne peut manquer de mettre au crédit d’Ousmane Sonko d’avoir fermement tenu tête à ce régime. Cette victoire est d’abord la sienne. Par une étonnante résilience, une ingénierie politique, une endurance, l’ancien inspecteur des impôts est l’artisan de cette ascension fulgurante du Pastef. En dix ans, depuis les salons feutrés des impôts et domaines, la bande d’inspecteurs en rébellion à l’origine de ce jeune parti politique s’est frayée un chemin vers les cimes du pays.

Acculés mais portés par une jeunesse déterminée, ils ont accompli une révolution, un coup d’Etat démocratique. Par l’ampleur d’un travail programmatique et le flair politique qui l’a conduit à s’ouvrir au conseil d’une élite universitaire et à gauche, le parti s’est donné une substance. La jonction entre ce travail politique méthodique et une force populaire articulée autour de la figure messianique d’Ousmane Sonko sont les clés du succès dans un contexte mondial de dégagisme où le populisme est un vent qui porte.

Il n’en reste pas moins qu’il bénéficie également de l’inanité d’un régime finissant, qui a multiplié les ratés jusqu’au parasitage de la candidature interne, celle d’Amadou Ba, héritier mal aimé de Macky Sall. Le bilan indéfendable de ce dernier, dont il est pleinement comptable quant à l’état de déchirement du pays, a condamné le candidat de la majorité à un plafond électoral. Bassirou Diomaye Faye bénéficie bien sûr d’un vote d’adhésion, mais le vote utile et le vote de rejet ont ainsi accentué l’ampleur de cette victoire aux allures référendaires.

Bien malgré eux, Macky Sall et un quarteron de faucons de son régime ont été les acteurs, au fil des dernières années, de l’ascension du Pastef. Dans leur volonté de liquider leur adversaire, en employant au-delà de toute raison des moyens disproportionnés, ils ont créé un martyr. Symbole même de l’injustice. Cet acharnement répressif est la première cause d’une fracture nationale, dont le venin reste diffus. Le pays y a beaucoup perdu, économiquement comme en termes de stabilité.

Défiance radicale

Pour autant, si Macky Sall porte la responsabilité première dans le chaos récent au Sénégal, il est important à l’heure du triomphe du Pastef de ne pas oublier ce que ce parti porte comme responsabilité dans la surenchère de la violence. Dans l’euphorie généralisée, face à un régime acculé et promis à la défaite, un opportunisme analytique et hémiplégique a passé sous silence le lexique longtemps outrancier d’un parti qui a eu la tentation de la contre-violence.

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Source : Le Monde – (Le 30 mars 2024)

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