Dieynaba N’DIOM : « être féministe en Mauritanie c’est être exposée et sujette à des insultes »

Amina Mag – Dieynaba N’DIOM, membre de plusieurs organisations féminines, dont le réseau des jeunes féministes de l’Afrique Ouest francophone, lutte depuis de nombreuses années pour les droits des femmes en Mauritanie et dans la sous-région. Engagée également en politique, elle dirige la fédération de Nouakchott du FPC (Force Progressiste pour le Changement), le parti d’opposition. Elle livre son analyse à Amina sur les principales problématiques des femmes de son pays.

 

Qu’est-ce qui vous a poussée à vous engager dans la cause féministe ?

Etant sociologue de formation, j’ai eu très tôt conscience du système qui nous régit en Mauritanie. J’ai également toujours été hostile à toute forme d’injustice liée aux droits des femmes. Je me suis construite par rapport au système patriarcal. Je suis devenue féministe au fur à mesure que les femmes mauritaniennes subissaient des injustices. Et dans nos pays d’Afrique, ce n’est pas facile de se définir féministe, surtout en Mauritanie, car c’est déjà une revendication politique.

Les féministes n’ont pas bonne presse en Afrique et sont vues d’un mauvais œil. En Mauritanie, comment sont perçues les femmes comme vous qui se revendiquent féministe ?

Etre féministe en Mauritanie, c’est être exposée et sujette à des insultes, ou encore au harcèlement. On vous pointe du doigt, en disant que vous êtes « une vendue » ou que vous osez vous exprimez de telle ou telle sorte parce que vous êtes féministe. Le concept est très mal vu et donc mal compris, car dans la conscience populaire,  le féminisme combat les hommes et les normes patriarcales. On parle de personnes qui ont des privilèges par rapport au sexe, donc forcément si l’on remet en cause ce système patriarcal, elles se sentent en danger. Certaines vont même jusqu’à convoquer la religion et la tradition pour tenter de justifier les danger du féminisme en disant que c’est contre nature et que ce n’est pas dans la culture islamique ou africaine. Elles agissent ainsi tout simplement parce qu’elles veulent rester dans leur confort, continuer à préserver leurs privilèges par rapport à la société. C’est un rapport de pouvoir qui crée des inégalités et injustices. Mais le féminisme est une réponse aux inégalités et injustices qui sont faites à l’encontre des femmes.

Le Gavage des femmes est une pratique qui existe toujours en Mauritanie… Quelles sont les origines de cette coutume, en quoi consiste-t-elle exactement ?

Le gavage ne concerne pas toutes les femmes mauritaniennes, c’est une pratique traditionnelle spécifique à la communauté maure. Elle est en voie de disparition. L’objectif premier est de contrôler le corps de la femme, car on considère qu’une belle femme a des rondeurs et doit avoir des formes pour être apte à se marier, alors qu’une maigrichonnes n’est pas perçue comme une femme belle. Mais cette tendance tend à disparaître, car d’autres modes sont venues de l’occident influencer la société, qui dicte toujours comment doivent être les femmes et ce qu’elles doivent faire pour être belles. Le gavage, qui a un peu objectif purement esthétique, est un danger d’ordre sanitaire qui doit complètement disparaître du pays.

Quelles sont les principales difficultés des femmes dans le pays et les principaux combats qu’elles doivent encore mener pour faire entendre leur voix, notamment sur le plan juridique ?

On ne le répétera jamais assez, l’une des principales difficultés des Mauritaniennes aujourd’hui, c’est d’avoir un cadre juridique qui régit toutes les formes de violences qu’elles subissent. Il y a un vide et une absence juridique concernant les lois en lien avec les violences faites aux femmes. En Mauritanie, on ne sait pas ce qu’est un viol, car il n’y a pas une seule loi qui définit le viol. Bien sûr, le gouvernement a proposé des projets de loi, mais il y a eu une contre campagne contre ces lois, car selon certains c’est une porte ouverte à l’homosexualité. Le gouvernement a finalement reculé et propose un deuxième projet de loi qui porte sur les violences faites aux femmes. Selon moi, cette loi n’arrive toujours pas à passer, car on refuse l’émancipation des femmes. On a un groupe d’obédience religieuse, de formation politique, qui est réfractaire à toutes formes de loi en matière de liberté de la femme mauritanienne. Et ce groupe est encore plus fort que ceux qui promeuvent une loi en matière de violence faite aux femmes.

 

 

 Voir la suite dans l’édition papier n° 619 Mars 2024

 

 

 

Source : Amina Mag

 

 

 

 

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