Sénégal – Dekheulé 137 ans après la disparition de Lat Dior : Plans de résistance

Le Quotidien A Dekheulé, parler de Lat Dior Ngoné Latyr Diop, cette figure emblématique de la résistance coloniale au Sénégal, procure joie et fierté.

Les honneurs du guerrier lui sont attribués grâce à son héroïsme. C’est pour cette raison que ses arrière-petits-enfants et les habitants de Dekheulé ont décidé depuis 2018, de commémorer chaque année la mort de Lat Dior et de rendre hommage à cet illustre résistant mort sous les balles des colons le 27 octobre 1886. Il n’a vécu que 44 ans, mais sa vie a été utile et son écho continuera à retentir pour l’éternité.

Fierté. C’est le sentiment qui anime les arrière-petits-enfants de Lat Dior Ngoné Latyr Diop, figure emblématique de la résistance au Sénégal. A Dekheulé, fief familial, cœur de la royauté des Diop où repose leur grand-père et héros national, ils ne sont pas attristés par le deuil. Ils nagent dans un océan de bonheur procuré par un lien de parenté avec un homme dont l’histoire sera liée à l’existence éternelle du pays. «Lat Dior Ngoné Latyr Diop représente une figure dans l’histoire du Sénégal. Il garde le statut incontesté des résistants, du héros national et de l’incarnation du courage physique dans la défense de sa Patrie», a dit Abdou Aziz Ndiaye, arrière-petit-fils et porte-parole de la famille du résistant.

Ce 27 octobre, qui commémore la disparation de Lat Dior, est plus un jour de fête et de reconnaissance. C’est le 137ème anniversaire. La chaleur est suffocante. Le soleil est haut sur un ciel dégagé. Il accable tout le monde, mais il n’a pas mis en berne la détermination des habitants de Dekheulé de commémorer la mort du héros national qui a opposé aux colons français une résistance farouche pendant de longues années. Depuis 2018, ce rendez-vous a pris les allures d’un pèlerinage. Un lieu de convergence de tous les petits enfants de l’ancien Damel du Cayor. Ils étaient venus de partout du pays pour célébrer ce 137ème anniversaire de la mort de Lat Dior. Les arrière-petites-filles, vêtues de blanc avec un foulard rose, des jeunes filles habillées en «Linguère» rappellent, à travers leur défilé, l’époque des royaumes.

Les notes de folklore sont mêlées aux chants à l’honneur du héros. Elles sont entrecoupées parfois de la musique principale des Forces armées. Ce qui donne un caractère plus solennel à l’évènement. L’ambiance est festive. Malgré le poids de l’histoire, tout est actuel. Les lieux où il a rendu les armes sont encore empreints de souvenirs. Logé au cœur d’une savane, avec un paysage clairsemé, entouré de champs d’arachide et d’haricots, le mausolée qui sert d’enceinte tombale témoigne majestueusement de la présence de Lat Dior Ngoné Latyr Diop. C’est là qu’il git depuis sa mort le 27 octobre 1886, après la sanglante bataille de Dekheulé. 137 ans se sont écoulés, mais le temps n’a pas érodé les souvenirs. «Quand il partait pour cette bataille, il avait dit à ses compagnons : «Si je meurs, ne laissez pas mon corps ici.» Il savait que si les Blancs parvenaient à mettre la main sur son corps, ils le découperaient en plusieurs morceaux et il n’aurait pas de sépulture. C’est pourquoi, quand il est tombé, ses compagnons ont pris le corps. Ils ont attendu que les Blancs partent pour revenir l’enterrer là où il est tombé. C’est ici qu’il est mort», a témoigné Awa Diop, arrière-petite-fille de Lat Dior Ngoné Latyr Diop.

Né en 1842 dans le Cayor, Lat Dior a été nommé Damel du Cayor en 1862, à l’âge de 20 ans, après avoir écarté son cousin Madiodio Ndièguène, qui était un rival dangereux, favorable aux Français. D’après Alassane Lèye, enseignant-chercheur à l’université Alioune Diop de Bambey, «Lat Dior a vaincu les Français le 22 décembre 1863 à la bataille de Ngol-Ngol. Il les a vaincus à Ndidiss et à Ndari». «Entre 1870 et 1886, toute l’histoire du Sénégal se mesure entre guerre et paix. Le pays avait perdu l’initiative historique entre une France revancharde à la suite de sa défaite contre l’Allemagne et la crise des pouvoirs légitimistes à la suite de leur compromission dans la traite des esclaves», a déclaré Abdou Aziz Ndiaye. Selon lui, «l’horizon politique semblait se limiter à une forme d’héroïsme suicidaire au vu du rapport de forces entre des canons et des lances».

A l’en croire, «c’est ici que l’histoire de Ngol-Ngol prend toute sa symbolique». C’est ici que le courage de Lat Dior et son génie éprouvaient et défiaient la puissante colonne de Laurence, le Capitaine qui conduisait les troupes françaises lors de cette bataille. A Ngol-Ngol, Lat Dior alternait guerre de mouvement et guerre de position. Il épuisa la colonne à un point tel que Vincent Montreuil disait : «Par des marches et contremarches, il ne voulait pas rencontrer la colonne. Mais, il lui fera tout le mal possible et quand il voudra, attendu que nous ne savions jamais, et il connaît une par une les positions de la colonne.»

Stratège

A Ngol-Ngol, Lat Dior prit des canons, des armes et uniformes des troupes coloniales par son courage. C’est toute la symbolique coloniale. Lat Dior prit le canon de Laurence comme butin de guerre. Un mythe venait de s’effondrer : celui de l’invincibilité, de la supériorité des colons. «Le même canon sera rendu plus tard sous les auspices de Coumba Ndoffène, au nom de la paix. Mais l’histoire a été déjà inscrite dans les annales et pour l’éternité», raconte le porte-parole de la famille.

Le héros national ne savait pas que se battre. Doté d’un sens humain très élevé, Lat Dior Ngoné Latyr Diop savait aussi instaurer un climat de paix avec ses voisins. En scellant un pacte sacré entre Thioro Madosso, sa nièce, et Mame Mor Anta Saly, il a procédé, pour la postérité, tout le legs rédempteur de notre Nation. Lat Dior est à la fois le symbole de la résistance et le relais des ressorts de la paix dans le contexte colonial. Sous la domination imposée par le colon, il a eu la lucidité de laisser chacun dans son rôle, entre guerre et paix.

L’alliance de Somb, scellée avec le mariage de sa fille Coumba Mbar Ndack avec Alboury Ndiaye, de même que le mariage de sa sœur Kénesi avec Ibra Almamy Wane montrent bien l’horizon politique de ce chef, qui préfigure les bases de la construction de l’unité nationale. Entre 1875 et 1890, Lat Dior se retrouvait à Yang-Yang dans une belle fraternité avec Abdou Boubacar Kane du Fouta Toro et un envoyé de l’Emir du Trarza. «C’est vous dire que ce pays savait faire Nation devant les assauts du colonialisme. Dans un contexte de rivalité et de querelles de préséance, les élites savaient se retrouver pour donner corps à ce qui, au-delà des intérêts d’une lignée, servait de référence pour une Nation en gestation. L’hospitalité du Bour Sine Coumba Noffène Samakh et de Maba Diakhou finit de dessiner la carte d’une résistance nationale face à l’envahisseur», note le porte-parole de la famille Diop. «La guerre peut aussi servir une belle cause. Et Lat Dior se savait porteur de diom, ngor (dignité), foula et fayda», narre Abdou Aziz Ndiaye.

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Source : Le Quotidien (Sénégal)

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