Guerre Israël-Hamas : au Maghreb, la rupture des opinions publiques avec l’Occident

Dans les rues de Rabat, d’Alger et de Tunis, la colère gronde contre le soutien à Israël dénoncé comme « inconditionnel », mettant en position délicate les intellectuels démocrates de la région.

Le Monde – « Désormais, le divorce est consommé. » Le diagnostic est posé sans barguigner par l’hebdomadaire marocain Tel quel dans un dossier consacré, le 20 octobre, à la « fracture ouverte entre l’Occident et le Sud global » à l’occasion de l’éclatement de la guerre à Gaza entre Israël et le Hamas. Si la pertinence du concept de Sud global fait débat en l’occurrence – l’Inde a très vite soutenu le gouvernement israélien après l’attaque terroriste du Hamas du 7 octobre –, la géographie des émotions est d’une homogénéité peu discutable dans le monde musulman, en particulier au Maghreb.

En Afrique du Nord, où la solidarité avec la « résistance palestinienne » est une vieille affaire, la colère ne vise pas qu’Israël et ses bombardements intenses sur Gaza causant des milliers de victimes civiles et un désastre humanitaire sans précédent. Elle s’élargit à l’Occident, perçu comme un soutien « inconditionnel » à Israël. « Les opinions publiques au Maghreb assimilent Israël à l’Occident, relève Khadija Mohsen-Finan, politologue spécialiste du Maghreb et enseignante à l’université Paris-I. Non parce qu’Israël est un Etat fonctionnant à l’occidentale, mais parce que, dans la crise actuelle, il est protégé, voire surprotégé, par les gouvernements américain et européens. »

La guerre en Ukraine, où les Occidentaux ont mis en avant le droit international pour obtenir la mise au ban de la Russie, est dans tous les esprits. La dénonciation du « deux poids, deux mesures », selon que les victimes civiles soient ukrainiennes ou palestiniennes, est devenue un leitmotiv dans le procès fait à l’Occident.

 

« Colon un jour, colon toujours »

 

Au Maghreb, la France – sensibilité du passé colonial oblige – est particulièrement exposée à ces indignations de la rue. A Tunis, plusieurs rassemblements se sont tenus devant l’ambassade française, située au cœur de la capitale. Les manifestants ont réclamé « le départ » de l’ambassadrice. « Colon un jour, colon toujours », « La France, pays des droits de certains hommes » : les slogans tagués sur la façade de l’Institut français de Tunis traduisent sans ambiguïté cette image dégradée de la France. Les Etats-Unis sont visés eux aussi, ainsi que l’Allemagne, dont les propos de l’ambassadeur – évoquant l’« escalade actuelle déclenchée par une attaque terroriste barbare du Hamas contre Israël » – ont suscité un tollé en Tunisie. A Rabat comme à Alger, les manifestations en soutien aux Palestiniens ont dénoncé à l’unisson la « complicité » de l’Occident dans le « génocide à Gaza ».

Face à la rue, chaque Etat joue sa propre partition. Au Maroc, le palais royal chemine sur une fragile ligne de crête entre l’effervescence de l’opinion propalestinienne et les impératifs stratégiques de son rapprochement avec Israël, scellé en 2020 dans le cadre des accords d’Abraham. En Algérie, le régime se voit conforté dans son refus de longue date de « normaliser » ses relations avec l’Etat hébreu, mais il entend garder la haute main sur tout mouvement populaire susceptible de rallumer la flamme du Hirak, le mouvement contestataire de 2019 durement réprimé.

En Tunisie, enfin, le président Kaïs Saïed, pourfendeur récurrent du « sionisme » dont l’objectif est, selon lui, d’« exterminer le peuple palestinien », accompagne sans retenue les humeurs de la rue. Il n’en a pas moins dû torpiller dans la confusion une proposition de loi visant à « criminaliser » les relations avec Israël, un texte qui aurait imposé un casse-tête à la politique étrangère de la Tunisie. La rhétorique maximaliste du chef d’Etat a ses limites.

Au-delà des arrière-pensées des Etats, le sentiment prévaut au Maghreb qu’une rupture psychologique, et potentiellement politique, est en train de se produire. La frange de l’opinion qui, à rebours des courants nationalistes ou islamistes, pouvait s’identifier à un certain message universaliste de l’Occident se sent trahie, à en croire certains intellectuels maghrébins. « La perception demeurait que l’Occident, malgré tout ce qu’on pouvait lui reprocher, restait le bastion défendant le droit contre la force, souligne Kamel Jendoubi, ancien ministre tunisien des droits de l’homme devenu un opposant. Or cela se révèle faux. »

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Source : Le Monde

 

 

 

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