A Abidjan, des Ivoiriens veulent « décoloniser » le chocolat

Reportage - Alors que la Côte d’Ivoire fournit 45 % du marché mondial du cacao, elle ne compte que 24 chocolatiers. Parmi eux, Alain Kablan Porquet, qui souhaite ouvrir une nouvelle ère où le pouvoir reviendrait aux pays producteurs.

Le Monde – Le Bushman Café, à Abidjan, sent toujours le cacao, mais son parfum est particulièrement entêtant ce jour-là dans la petite salle de réunion du rez-de-chaussée. Quelques palets de chocolat noirs comme du pétrole sont disposés sur des plateaux, offerts à la dégustation à la dizaine de privilégiés invités par le patron de l’établissement, Alain Kablan Porquet, lui-même artisan chocolatier à la tête de la coopérative Cocoaïan.

Mais attention, on ne mord pas dans un chocolat à 92 % de cacao comme dans une barre chocolatée industrielle. « Mettez le chocolat dans votre bouche et croquez très légèrement pour libérer les saveurs, indique Kristen Hard, chocolatière américaine multiprimée et patronne de la boutique haut de gamme Cacao Atlanta. Puis laissez le palet fondre sur votre langue. Vous pouvez inspirer en même temps pour saisir pleinement les arômes» Avec une solennité qui rappelle l’œnologie, on goûte tour à tour des chocolats ghanéens et ivoiriens, ceux de FairAfric et Cocoaïan, dont la teneur en cacao s’élève à 75 ou 92 %.

Ces petits palets, aux notes délicates de fleurs ou de fruits, sont les premiers échantillons d’une ambition plus grande : celle de transformer une nation cacaoyère en une nation chocolatière. Le paradoxe est connu : la Côte d’Ivoire fournit à elle seule 45 % du marché mondial du cacao, mais la moitié des fèves sont exportées brutes et la quasi-totalité du reste sous forme de produits semi-transformés.

Dégustation de chocolats fins au Bushman Café, à Abidjan, le 4 novembre 2023.

 

Le pays ne compte que 24 chocolatiers, le Ghana moitié moins. Pour élargir le marché – il ambitionne de multiplier leurs effectifs par dix dans les prochaines années –, Alain Kablan Porquet a rassemblé du 2 au 4 novembre des acteurs ghanéens et ivoiriens de la filière cacao, alors même que s’achevait à Paris le Salon du chocolat. L’objectif immédiat est de créer un nouveau concours de chocolaterie spécifiquement africaine, la World Chocolate Initiative Competition, dont la première édition devrait se tenir mi-2024.

A terme, il s’agira de lancer un débat sur les normes de production du chocolat définies par les marchés européens. Et d’ouvrir une nouvelle ère cacaoyère où le pouvoir reviendrait aux pays producteurs, alors que le cours de l’or brun a battu de nouveaux records, le 30 octobre, aux Bourses de Londres et de New York, galvanisé par la faible récolte du trimestre en cours, qui pourrait s’avérer inférieure de près de 30 % à celle de l’année dernière.

 

« Le chocolat, c’est de la culture ! »

 

« Le chocolat n’est pas un produit de consommation !, tonne Gauz sur le canapé bas que le Bushman Café réserve à ses conférenciers. C’est de la pensée pure, de l’intellect pur ! C’est de la culture ! » Devant le public restreint des journalistes, industriels et chercheurs, l’écrivain ivoirien, auteur en 2022 du livre Cocoaïans, s’emporte : « Le cacao n’est pas une plante de chez nous. Il nous a été imposé par un caprice de bourgeois européen. Le cacao est un enjeu de pensée civilisationnelle, le lieu d’une confrontation entre les paysans africains, qui produisent ce cacao en détruisant leur écosystème, et l’hyperbourgeoisie, qui a inventé le goût du chocolat et l’a imposé par la violence. »

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(Abidjan, correspondance)

 

 

Source : Le Monde

 

 

 

 

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