– Ce 28 novembre 2017, l’ambiance est fébrile dans l’amphithéâtre central de l’université Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou, au Burkina Faso, construite sur des fonds libyens à l’époque de Mouammar Kadhafi.
« Il n’y a plus de politique africaine de la France », affirme Emmanuel Macron sous les applaudissements des étudiants, qu’il tente de mettre de son côté. « Je suis comme vous, d’une génération qui n’a jamais connu l’Afrique comme un continent colonisé… Je suis d’une génération dont l’un des plus beaux souvenirs est la victoire de Nelson Mandela… Je suis d’une génération de Français pour qui les crimes de la colonisation sont incontestables… Je suis d’une génération où l’on ne vient pas dire à l’Afrique ce qu’elle doit faire », clame-t-il, sans mesurer tout ce qui, au-delà de l’âge, le sépare de son auditoire. Le discours se veut fondateur. Il affiche l’objectif de renouveler le lien entre l’ancienne puissance coloniale et cette partie du continent qu’elle a colonisée.
Un incident marquera tout autant les esprits lors de cette conférence. Interpellé sur la question des coupures de courant récurrentes au Burkina Faso, le chef de l’Etat prend à témoin son homologue burkinabé de l’époque, Roch Marc Christian Kaboré, présent à ses côtés. « Mais moi, je ne veux pas m’occuper de l’électricité dans les universités au Burkina Faso ! C’est le travail du président », dit-il. Au même moment, son homologue s’éclipse pour assouvir, comprendra-t-on plus tard, un besoin pressant. « Du coup, il s’en va… Reste là ! », lui lance le président français, sur un ton familier, un rien moqueur, que beaucoup jugeront paternaliste. Et il conclut : « Il est parti réparer la climatisation. »
Six ans plus tard, alors que le retrait forcé des quelque 1 500 militaires français déployés au Niger, engagé début octobre et faisant suite au coup d’Etat militaire du 26 juillet, constitue un échec de taille pour le locataire de l’Elysée, l’anecdote est restée dans les mémoires. « La boutade a eu plus d’impact que tout ce qu’il a dit lors de sa visite, se souvient un diplomate. Emmanuel Macron, de par son âge, aurait pu être très populaire en Afrique, mais ce n’est pas le cas, car son style direct, suggérant à ses interlocuteurs de se prendre en main plutôt que de se plaindre, a du mal à passer. »
Quant au discours de Ouagadougou, il a montré ses limites. Rien, pas même le volontarisme alors affiché, ne semble pouvoir endiguer le recul de l’influence française en Afrique francophone depuis que des militaires putschistes, qui, du Mali (2020) au Burkina Faso (2022) puis au Niger (2023), ont fait – avec un certain succès populaire – de la remise en cause du lien avec Paris leur premier combustible politique.
La France et son président semblent bien seuls
Le dernier camouflet remonte au dimanche 24 septembre. A son corps défendant, le président de la République cède alors aux exigences de la junte nigérienne : il se résout à rappeler son ambassadeur à Paris, puis à retirer les troupes françaises d’ici à la fin de l’année. S’il reste en contact avec le président déchu, Mohamed Bazoum, et demande sa libération, Emmanuel Macron voit s’éloigner la perspective du retour au pouvoir de ce précieux allié, démocratiquement élu en 2021 et dernier président sahélien à assumer publiquement la nécessité du soutien militaire français dans la lutte contre les groupes armés djihadistes. « Macron est quelqu’un qui comprend bien la complexité de l’Afrique, mais, sur le Niger, il n’a pas eu d’autre ligne politique que “Il faut sauver Bazoum” », déplore un ancien général français.
La France et son président semblent bien seuls dans le rapport de force engagé avec les militaires nigériens, illégitimes certes, mais bel et bien au pouvoir. Dans un premier temps, leurs alliés américains et européens se sont montrés plus indulgents sur les principes, comme Paris l’a si souvent été ailleurs sur le continent et l’est encore, au Gabon, après la chute d’Ali Bongo Ondimba, le 26 août, ou encore au Tchad. Emmanuel Macron fut le seul chef d’Etat occidental à se rendre aux obsèques d’Idriss Déby Itno, tué au front par des rebelles en avril 2021, dont le bilan démocratique entre son arrivée au pouvoir, les armes à la main en 1990, et sa disparition est sans aucun doute très négatif. Le Tchad constitue pour les militaires et les présidents français la clé de voûte de l’architecture sécuritaire régionale et Paris n’a eu aucun problème à adouber Mahamat Idriss Déby, projeté, à 37 ans, à la tête du pays par un coup d’Etat constitutionnel après la mort de son père.
Le Niger n’a pas cette importance. Hors de question, donc, d’accepter le coup de force du chef de la garde présidentielle, le général Abdourahamane Tiani. Lorsque la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) agite la menace d’une intervention militaire pour rétablir l’ordre constitutionnel dans les jours suivant le putsch du 26 juillet, l’Elysée se range ostensiblement derrière cette organisation régionale. La France, qui, au mois d’août, multiplie les conseils de défense d’urgence, fait même savoir que, le cas échéant, ses militaires appuieraient l’opération ouest-africaine.
Mais voilà, si la Cedeao continue de dire que l’option militaire demeure sur la table, celle-ci est affaiblie par les dissensions entre partisans et opposants de la manière forte en son sein. A Paris, il devient de plus en plus difficile de camper sur la ligne dure. Les soldats français sont donc contraints de se retirer d’un troisième pays du Sahel en moins de trois ans, après l’annonce de la fin de l’opération « Barkhane » au Mali, en novembre 2022, puis celle de l’opération « Sabre » au Burkina Faso, trois mois plus tard.
Enlisement sécuritaire
La pilule est amère pour celui qui martelait encore, le 27 février, dans un discours prononcé cette fois de l’Elysée, son intention de mettre en place « un nouveau partenariat pour l’Afrique ». Comme à Ouagadougou, six ans plus tôt, le président met alors l’accent sur la jeunesse, la culture, le sport, les questions mémorielles, la diaspora et la démocratie. Une autre innovation porte sur la volonté d’associer plus étroitement les secteurs privés et les sociétés civiles de part et d’autre de la Méditerranée. « Un projet prometteur dont le bilan est étique », tranche sévèrement une étude de l’Institut français des relations internationales publiée le 10 mai.
« L’intuition initiale d’Emmanuel Macron était bonne, mais elle a été mal mise en œuvre, estime Thierry Vircoulon, chercheur associé à ce centre de réflexion. Elle a souffert d’une surcommunication et du “en même temps” macronien. Dans un mélange de nouveau et d’ancien, il a câliné la jeunesse tout comme les pouvoirs en place, quitte à troubler tout le monde. » En octobre 2021, le nouveau sommet Afrique-France de Montpellier, organisé uniquement avec des représentants de la société civile, suscite la rancœur de nombreux dirigeants du continent, snobés pour l’occasion par l’Elysée. « Est-ce que quelqu’un peut lui expliquer comment se comporter avec nos présidents ? », questionnait alors, un peu stupéfait, le chef de la diplomatie d’un pays sahélien. « Le sommet de Montpellier a été une erreur flagrante. Il a vexé les chefs d’Etat et ne s’est finalement adressé qu’à la diaspora. Pour édicter une politique, il faut le faire avec les décideurs », estime un autre.
Pour Thierry Vircoulon, les choix et le style présidentiels n’ont fait qu’accélérer un « mouvement de fond historique », qui voit le continent africain prendre ses distances avec la France, et l’Europe en général, au profit de nouveaux partenaires comme la Chine, la Russie ou la Turquie. « Ses maladresses ont été surexploitées mais, comme Nicolas Sarkozy, il aurait dû être plus prudent dans ses discours, renchérit un homme de l’ombre ayant ses entrées auprès de plusieurs présidences africaines. Il a mis en place un Conseil présidentiel pour l’Afrique afin de renouveler la relation, mais les gens qui le composent sont issus de la diaspora. Ils ne vivent pas les réalités du continent. Macron est arrivé avec des gens qui lui ressemblent, mais qui n’avaient pas l’expérience pour décortiquer la complexité des relations entre la France et des pays africains qui ont chacun leurs particularités. »
Quand il accède au pouvoir, en mai 2017, le chef de l’Etat a pour seule expérience africaine un séjour de six mois au Nigeria, comme stagiaire de l’Ecole nationale d’administration, mais une conviction forte : le renouvellement des relations avec le continent doit passer, en particulier, par leur démilitarisation. La situation sécuritaire est alors passablement dégradée au Sahel, en dépit du maintien de l’opération « Barkhane » et de ses 5 000 hommes. Celle-ci a remplacé l’opération « Serval », déclenchée en 2013 au Mali, par son prédécesseur, François Hollande, afin de combattre les mouvements djihadistes actifs dans le nord du pays.
L’enlisement sécuritaire est réel. Les autorités françaises peuvent afficher des succès sur le terrain avec la « neutralisation » de plusieurs chefs djihadistes. Mais, parallèlement, le rayon d’action des groupes armés s’est considérablement agrandi, portant dorénavant jusqu’au nord des pays du golfe de Guinée. La priorité d’Emmanuel Macron, dès le début de son premier mandat, est donc de rapatrier les soldats français.
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