Quand Nathalie Yamb s’enlise dans les sables mouvants de la Mauritanie

Cridem – Les Mauritaniens ont été très surpris par l’attaque de Nathalie Yamb qui, sur un ton péremptoire, a accusé leur pays d’être un cheval de Troie de l’OTAN, soutenant les visées néo coloniales de la France contre l’Afrique, à travers le G5 Sahel. Pour en rajouter une couche, la Mauritanie serait même un modèle d’Apartheid, où prospèreraient, en toute impunité, les pratiques esclavagistes et les discriminations.

A l’évidence, Mme Yamb, habituellement très engagée contre l’impérialisme occidental et pour le panafricanisme, semble s’être, pour une fois, trompée de cible en s’engageant, cette fois-ci, contre un pays africain, au nom de prétextes fallacieux.

Ce faisant, elle s’est enlisée dans les sables mouvants de la Mauritanie, en reprenant à son compte, sans aucune précaution ni effort de recherche, des poncifs véhiculés de longue date par des groupuscules politiques bien connus.

LA COOPÉRATION AVEC L’OTAN, UN CHOIX ASSUMÉ

La Mauritanie est un petit pays situé dans une région instable, qui essaie de survivre et de faire face aux périls qui pourraient potentiellement en menacer l’existence. A cet effet, elle cherche à forger des alliances stratégiques, à travers la coordination avec les pays de la région et, à titre complémentaire, en établissant des relations de coopération avec les organisations de défense, dont l’OTAN. Située à proximité immédiate de la zone couverte par cette alliance, la Mauritanie gagnerait à coordonner sa stratégie de défense avec ce bloc, et à bénéficier des opportunités de renforcement de ses capacités de défense, sur la base d’une approche gagnant-gagnant.

Dans ces conditions, le pays a fait le choix souverain d’entretenir des relations militaires suivies avec l’OTAN, mais celles-ci ne sont dirigées contre aucun autre État, notamment au sein de la région. La Mauritanie ne s’en cache d’ailleurs pas et assume un tel choix. Cela dit, toute la question est de préserver sa souveraineté nationale et éviter de s’engager dans des conflits par procuration, ce que le pays a su faire, jusque-là. En ce sens, la Mauritanie n’est pas alignée de manière systématique et aveugle sur les positions de l’OTAN, y compris la guerre en Ukraine, gardant d’excellentes relations avec la Russie, comme en témoigne la récente visite du ministre des affaires étrangères Serguei Lavrov. Elle n’abrite pas, non plus, de base militaire de l’OTAN. Elle entretient également d’excellentes relations avec la Chine, son premier partenaire économique, qui fait figure de grand rival de l’OTAN et des Etats-Unis.

Au fond, le problème est plus simple que vous le pensez, Madame Yamb. Il s’agit tout au plus de divergences entre pays de la sous-région, sur des options d’alliances militaires et cela n’a rien à voir avec un quelconque complot dans lequel la Mauritanie serait un cheval de Troie. Chaque pays a pleinement le droit de définir ses alliances diplomatiques, sans se faire accuser de vouloir du mal à ses voisins. En ce sens, la Mauritanie a eu une trajectoire différente et pourrait légitimement avoir une autre vision géopolitique que ses voisins.

LE G5 SAHEL, UNE RÉPONSE COLLECTIVE A LA MENACE TERRORISTE

Vous reprochez également à la Mauritanie de continuer à jouer un rôle décisif au sein du G5 Sahel, quand bien même ce dernier est aujourd’hui presque moribond. Vous partez également du postulat que le G5 serait une pure création française, pour continuer de jouer au gendarme dans la région et d’exploiter les pays africains indirectement. Vous pouvez ne pas être d’accord avec la stratégie du G5, mais vous ne pouvez guère nier qu’il pourrait être un moyen de coordonner efficacement la stratégie de défense des pays du Sahel et de mutualiser leurs faibles ressources, pour répondre à la menace terroriste. De là, à y voir un complot occidental et français en particulier, il y a un pas qu’un analyste sérieux et objectif ne franchirait pas nécessairement.

Au sein même du G5 Sahel, certains pays misent sur une alliance étroite avec la France, d’autres misent sur de nouveaux alliés, dont la Russie et le groupe Wagner. Ce sont-là des appréciations divergentes, mais parfaitement légitimes. Il n’y a donc pas lieu de crier au complot.

Au demeurant, pourquoi insistez-vous sur le rôle de la Mauritanie, alors que d’autres pays de la région, tels que le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Tchad, le Niger et le Togo, pour ne citer que ceux-là, entretiennent des relations militaires beaucoup plus étroites avec la France. A moins qu’ils ne soient tous des chevaux de Troie !?

L’ACCUSATION D’APARTHEID ET D’ESCLAVAGE, UN LIEU COMMUN

Quant à l’accusation à l’emporte-pièce selon laquelle la Mauritanie serait un modèle d’Apartheid, elle ne tient tout simplement pas la route. Pour vous faire une idée de la situation, vous n’avez qu’à consulter les rapports des organisations internationales qui s’occupent des questions relatives aux droits de l’Homme, au niveau des Nations Unies, de l’Union Africaine, et de toutes les autres instances continentales, qu’on ne peut taxer de complaisance.

Pourquoi la commission africaine des droits de l’Homme, qui siège régulièrement et discute de ce genre de questions et des dossiers de chaque pays, dont la Mauritanie, n’a jamais endossé de telles accusations ? Pourquoi le Conseil des droits de l’Homme, basé près de chez vous, à Genève, n’a jamais épinglé la Mauritanie pour des accusations aussi graves ? Ou bien ces organisations internationales seraient-elles aussi des chevaux de Troie, à la solde des puissances impérialistes, pour reprendre votre langage ?

La différence est que ces organisations essaient d’effectuer leur travail de manière professionnelle, dans le respect de l’éthique, en s’informant et en évaluant la situation de chaque pays, y compris à travers leur présence sur le terrain, et en faisant la part des choses, entre les accusations objectives et les allégations farfelues.

Votre propos sur l’esclavage ne diffère pas non plus de votre pamphlet sur l’Apartheid. L’esclavage est une pratique qui subsiste effectivement en Mauritanie, à travers des survivances et des formes diverses, y compris modernes, comme c’est également le cas dans la plupart des pays de la région, dont ceux du G5 Sahel et bien d’autres.

Pour votre information, la Mauritanie fournit des efforts pour mettre fin à ce phénomène, y compris l’adoption d’une stratégie nationale de lutte contre l’esclavage, la mise en place d’un parquet et de tribunaux spécialisés, la possibilité pour les organisations de la société civile de se constituer partie civile et de s’engager dans la sensibilisation des citoyens, car l’éradication de l’esclavage requiert également une évolution des mentalités. Ces efforts ont été salués récemment par l’administration américaine, dans le classement mondial relatif à la traite des personnes. C’est sur cette base, notamment, que la Mauritanie est (re)devenue éligible à des initiatives d’aide américaine, dont le Millenium Challenge.

UNE VISITE EN MAURITANIE S’IMPOSE

Chère Madame Yamb, vous êtes perçue comme une militante panafricaniste, qui poursuit l’idéal de la libération du continent et vous devez à ce titre faire preuve d’honnêteté intellectuelle et d’un minimum de précautions méthodologiques.

Je vous invite, également, avant d’écrire sur la Mauritanie, à visiter ce pays et je me ferais un plaisir de vous faire rencontrer tous les acteurs qui travaillent sur les questions des droits de l’Homme, y compris les militants de terrain, pour vous faire une idée précise de la réalité, au-delà des clichés que vous avez choisis de recycler.

 

 

Mohamed El Mounir
Universitaire, ancien fonctionnaire des Nations Unies

 

 

 

Source : Cridem (Le 04 juillet 2023)

 

 

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