Dans le Sahel, la petite entreprise des enlèvements

Des groupes armés écument le Sahel, se livrant à des activités terroristes, à diverses contrebandes et à ce qui relève “du banditisme : l’enlèvement et la prise d’otages. Si l’otage occidental reste la prise ultime, les populations locales n’échappent pas à cette calamité”, détaille “Le Journal du Mali”.

Courrier international – Même s’il n’en détient pas le monopole, le JNIM (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans) [d’idéologie salafiste, affilié à Al-Qaida] a érigé au fil des années les enlèvements au Sahel en modus operandi.

Depuis que sa rivalité s’est accentuée, à partir de février 2020, avec l’EIGS (État islamique au Grand Sahara) [qui a prêté allégeance à l’État islamique], le groupe d’Iyad Ag Ghaly [chef de guerre touareg et djihadiste malien] a multiplié les rapts. Expatriés européens, nationaux de divers profils, la liste des otages passés, ou qui sont encore dans les mains du JNIM au Mali, est longue. Que tire ce groupe terroriste de ces enlèvements ?

 

“Pas un seul centime”

 

Officiellement, pour la libération, le 20 mars 2023, de l’ex-dernier otage français dans le monde, [le journaliste français] Olivier Dubois, détenu pendant près de deux ans par le JNIM, et de l’humanitaire américain Jeffery Woodke, enlevé au Niger en 2016, les autorités françaises et américaines sont catégoriques : aucune rançon n’a été versée et aucune libération de prisonniers n’a servi de monnaie d’échange.

Mais difficile de s’en tenir à ces versions quand on sait que, dans la plupart des enlèvements d’Occidentaux en Afrique, la libération n’intervient qu’après des paiements de rançons et/ou la remise en liberté de terroristes prisonniers. À en croire certaines sources issues du renseignement malien et relayées par des médias locaux, au moins quelques millions d’euros auraient été versés pour obtenir la libération des deux ex-otages.

L’ancien président François Hollande reconnaissait en 2016 [dans le livre Un président ne devrait pas dire ça, de Gérard Davet et Fabrice Lhomme1] que des rançons avaient été payées pour certains Français retenus en captivité, en l’occurrence les journalistes Hervé Ghesquière et Stéphane Taponnier, enlevés en Afghanistan en 2009 et libérés en 2011, et Florence Aubenas, enlevée en 2005 en Irak puis libérée quelques mois après.

Comme pour Olivier Dubois, près de trois ans plus tôt, Paris a toujours démenti avoir payé, en plus d’échange de prisonniers, pour la libération de Sophie Pétronin, autre otage française longtemps détenue au Mali et libérée en octobre 2020 en même temps que l’ancien chef de file de l’opposition malienne Soumaïla Cissé et 2 Italiens, Nicola Chiacchio et Pier Luigi Maccalli.

Dans la foulée, sur RFI, Ahmada Ag Bibi, ancien membre d’un groupe djihadiste qui sert quelquefois d’intermédiaire lors des négociations, affirmait que 2 millions d’euros avaient été versés comme rançon au JNIM pour l’ancien président de l’URD ou Union pour la république et la démocratie [Soumaïla Cissé], décédé depuis.

 

Les otages occidentaux, une prise avantageuse

 

La manne financière que le JNIM et les groupes terroristes tirent des enlèvements est très importante. Une source spécialiste de ces mouvements djihadistes l’estime à “40 à 50 milliards de francs CFA [60 à 76 millions d’euros] perçus de 2003 à aujourd’hui”.

“La prise d’otages européens a fait des djihadistes au Sahel des milliardaires en francs CFA, cela ne fait aucun doute”, avance cette source, qui a requis l’anonymat. De son point de vue, c’est d’ailleurs pour cette raison que les Occidentaux, et plus particulièrement les Européens, sont les cibles privilégiées du JNIM, parce que les pays d’où ces derniers sont originaires entament vite des négociations pour obtenir leur libération.

“Lorsqu’ils prennent des Européens et des Africains, ils libèrent plus rapidement les Africains pour deux raisons. D’abord, parce que ces derniers n’ont pas de valeur marchande, leurs États n’ont pas d’argent pour payer. Ensuite parce qu’ils font attention à ne pas enlever des locaux dans les zones qu’ils occupent. Cela pourrait amener des relations difficiles entre eux et les autochtones”, explique notre source.

En dehors de l’argent qu’il perçoit à travers les rapts, le JNIM, affilié à Al-Qaida, tire d’autres avantages. “Les enlèvements rapportent soit de l’argent, soit une occasion de négocier pour aboutir à des concessions ou obtenir des accords. Souvent, ils enlèvent des chefs de villages pour faire un forcing afin d’obtenir un accord local ou un avantage quelconque”, affirme un ex-otage malien.

“Dans le centre du Mali, quand le JNIM enlève des personnalités locales, politiques ou influentes dans un village ou dans une ville, il négocie des concessions qui peuvent être endogènes. Si, par exemple, on les empêche de se ravitailler en carburant dans un village qui fait de l’autodéfense, s’ils y enlèvent quelqu’un, ils poussent les pions pour qu’on leur ouvre la route, qu’ils puissent quelquefois venir à la foire se ravitailler en denrées, acheter des engins ou vendre leur bétail”, confie celui qui a passé deux mois au centre du Mali en 2018, dans les mains d’un groupe affilié au JNIM.

Selon lui, d’autres profils en dehors des Occidentaux intéressent le groupe dirigé par Iyad Ag Ghaly. Administrateurs civils, militaires, politiques ou encore journalistes, “dès qu’ils jugent pouvoir tirer contrepartie d’une cible, ils n’hésitent pas”.

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Journal du Mali (Bamako)

Source : Courrier international 

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