Lu Shaye, un diplomate chinois peu diplomate

Habitué des dérapages, c'est pour ses propos sur la Crimée et les pays de l'ex-URSS que l'ambassadeur de Chine en France a cette fois-ci suscité la colère.

Slate  – Dans les années 1980, le leader chinois Deng Xiaoping citait volontiers une formule historique de la lointaine époque des «Trois Royaumes» (20-280): «Être discret sur ses capacités et ne pas étaler ses ambitions.» Ce n’est plus du tout le point de vue de la catégorie de diplomates de Pékin dont fait partie Lu Shaye, l’actuel ambassadeur de Chine en France, et qui se reconnaissent dans l’appellation «loups combattants».

Ils prônent une diplomatie vigoureuse au service du régime communiste chinois, car ils considèrent que leur pays est devenu une véritable puissance économique et doit donc affirmer haut et fort ses points de vue sur la scène internationale. C’est, selon eux, une revanche à prendre sur près de deux siècles où la Chine affaiblie a été tenue à l’écart de la marche du monde. Aux yeux de ces «loups combattants», l’Occident est systématiquement hostile à la Chine.

L’ambassadeur Lu Shaye assume pleinement son appartenance à cette mouvance. En juin 2021, dans un entretien accordé au quotidien L’Opinion, il déclarait: «Je suis très honoré d’être qualifié de “loup combattant”, parce qu’il y a tant de hyènes folles qui attaquent la Chine.» C’est avec cet état d’esprit que le 21 avril, il était sur le plateau de LCI pour une interview dans laquelle il s’est s’éloigné par petites touches des positions habituelles de la diplomatie chinoise.

Gros dérapage sur la Crimée

Certes, il y résume en termes vifs la position officielle des dirigeants chinois quand il qualifie de «racontars» les millions de morts provoquées par le régime de Mao Zedong sous le Grand Bond en avant (1958-196). Interrogé, par ailleurs, sur la position d’Emmanuel Macron par rapport à Taïwan, il répète consciencieusement le discours habituel de Pékin sur l’appartenance de l’île à la Chine.

Mais ensuite, il commence à reprendre le discours du président russe Vladimir Poutine sur la Crimée. Ce territoire du sud de l’Ukraine était, affirme-t-il, «tout au début à la Russie». «C’est Khrouchtchev qui a offert la Crimée à l’Ukraine à l’époque de l’Union soviétique [en 1954, ndlr] Quand cette dernière s’est écroulée en 1991, la Crimée était en effet ukrainienne. Après quoi, en 2014, elle a été envahie par les forces de Moscou. Remontant le fil de l’histoire, Lu Shaye estime donc que la péninsule était un territoire russe. Ce qui est juridiquement contestable, mais rejoint la position russe.

Darius Rochebin, le journaliste qui l’interviewe dans l’émission, lui parle alors des États de l’ex-Union soviétique devenus indépendants en 1991. Là, Lu Shaye conteste leur souveraineté. «Ces pays de l’ex-Union soviétique n’ont pas de statut effectif dans le droit international, parce qu’il n’y a pas d’accords internationaux pour concrétiser leur statut de pays souverains», insiste-t-il. Et il ajoute: «Il ne faut pas encore chicaner sur ce genre de problèmes. Le plus urgent est […] de réaliser le cessez-le-feu.»

Le journaliste demande dès lors si l’ambassadeur accepterait que l’on dise «on chicane» dans le cas où la Chine serait amputée d’une partie de son territoire. Lu Shaye s’interrompt, se saisit d’un verre d’eau et en vient à dire que ce sont là des questions «pas si simples à évoquer en quelques mots» et dont il faut connaître «les tenants et les aboutissants». Signe qu’il a peut-être pris conscience d’avoir dérapé en mettant en cause les quatorze pays, outre la Russie, qui sont issus de l’ex-URSS. Il s’agit, entre autres, des trois pays Baltes (Lituanie, Lettonie et Estonie), de l’Ouzbékistan, de l’Arménie ou encore du Kazakhstan. En Russie, il existe sans doute de la nostalgie. Ce sentiment est plus surprenant de la part d’un responsable chinois, dont le pays entretient d’importantes relations économiques avec eux.

La colère des États baltes

Les allégations de Lu Shaye sur LCI ont provoqué quantité de réactions. Dès le lendemain, le ministère français des Affaires étrangères déclarait dans un communiqué avoir «pris connaissance avec consternation» des propos de l’ambassadeur. Il demandait également au gouvernement chinois si ces dires reflétaient «sa position», précisant espérer que cela n’était pas le cas. Le Quai d’Orsay rappelait par ailleurs que l’annexion de la Crimée en 2014 est «illégale au regard du droit international» et soulignait que l’Ukraine a été reconnue, «dans des frontières incluant la Crimée, en 1991, par la totalité de la communauté internationale, Chine comprise, à la chute de l’URSS comme nouvel État membre des Nations unies».

Lundi 24 avril, Emmanuel Macron, qui participait à un sommet sur l’éolien offshore à Ostende (Belgique), a tenu à réagir à cette mise en cause, par Lu Shaye, du statut de pays souverain des États de l’ex-URSS. «Je pense que ce n’est pas la place d’un diplomate de tenir ce type de langage», a-t-il dit, affirmant sa «pleine solidarité aux pays qui ont été attaqués dans la lecture de leur histoire et leurs frontières».

Le chef de la diplomatie estonienne, Margus Tsahkna, considère que l’ambassadeur de Chine en France a fait un «contresens historique».

Les propos de l’ambassadeur ont aussi été vivement critiqués dans de nombreux pays d’Europe, à commencer par ceux qui ont été occupés par l’Union soviétique –comme les trois États baltes (Estonie, Lettonie et Lituanie) aujourd’hui membres de l’Union européenne et de l’OTAN. Le ministre letton des Affaires étrangères, Edgars Rinkēvičs, considère ainsi que les remarques de Lu Shaye sont «complètement inacceptables». Comme son homologue estonien, Margus Tsahkna, qui considère que l’ambassadeur de Chine en France a fait un «contresens historique, car les pays Baltes sont souverains au regard du droit international depuis 1918, mais ont été occupés pendant cinquante ans [par l’URSS]».

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Richard Arzt — Édité par Natacha Zimmermann

Source : Slate (France)

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