La Falémé face à la menace de l’or

BBC Afrique – Autrefois, la frontière entre le Sénégal et le Mali était source de vie. La Falémé, qui s’étend sur plus de 650 kilomètres entre les deux pays, approvisionnait en eau et poissons les villages le long de ses rives. En saison des pluies, les populations pratiquaient le maraîchage et l’agriculture. Pendant les mois de sécheresse, elles se tournaient vers l’orpaillage artisanal à petite échelle, munies de bassines et de calebasses.

« L’eau est polluée »

Mais l’expansion de l’exploitation aurifère dans la région a chamboulé le quotidien des riverains. Dans la zone de Saraya, dans le sud-est du Sénégal, la ruée vers l’or commence au lever du soleil. Sur des motos, tricyles, et parfois même à vélo, des jeunes hommes traversent les chemins sablonneux des paysages de savane. Équipés de simples pelles, piques et sceaux, ils viennent parfois de loin pour de trouver la pépite d’un avenir meilleur. Mali, Guinée, Burkina Faso…la région de Kédougou rassemble aujourd’hui plus de 20 nationalités. Et voit son environnement se dégrader.

 
Des orpailleurs s'activent à remonter les sacs de pierres dans la mine de Bantaco.

Crédit photo, Maria Gerth-Niculescu

Légende image, Sur la mine de Bantaco, des milliers d’orpailleurs s’activent chaque jour, venus de toute l’Afrique de l’Ouest.

Souleymane Keita se souvient avec nostalgie d’un temps où « l’eau de la Falémé était buvable » et « produisait beaucoup de poissons ». Le jeune enseignant, originaire du village frontalier de Sansamba, accuse des entreprises étrangères et une partie de la population locale de polluer le fleuve via un orpaillage irrespectueux de l’environnement. « La population vit à l’agonie. L’eau est polluée, il y a du cyanure, du mercure, et ça peut impacter même nos forages au niveau des nappes phréatiques », déplore-t-il.

 

Atout ou facteur de vulnérabilité ?

L’orpaillage représente certes un atout économique pour les populations de la zone. L’activité génère des dizaines de milliers d’emploi, et un gain potentiel qui dépasse les revenus issus de l’agriculture vivrière.

« Cet argent permet aux communautés de subvenir à leurs besoins de base, et dans une certaine mesure il y a une amélioration de leurs conditions de vie », affirme Paulin Maurice Toupane, chercheur à l’Institut d’études de sécurité (ISS) à Dakar.

« Mais l’orpaillage a aussi des conséquences énormes sur l’environnement, la santé des acteurs et sur le plan social. A moyen et court terme, si des mesures ne sont pas prises pour essayer de limiter les conséquences, la tendance va se renverser. Au lieu que l’orpaillage soit une opportunité, il va devenir un facteur de vulnérabilité pour ces communautés qui vivent dans les zones aurifères », prévient-il.

Des femmes trient des pierres en plein soleil sur la mine de Bantaco.

Crédit photo, Maria Gerth-Niculescu

Légende image, Des femmes trient des pierres sur la mine de Bantaco.

Menaces sur la santé

Plusieurs études ont déjà révélé la présence de métaux lourds dans les écosystèmes de la région de Kédougou, l’épicentre de l’orpaillage au Sénégal. Des analyses scientifiques menées autour de la mine de Bantaco en 2021 faisaient état d’une présence importante de mercure, plomb et cadmium dans les eaux de puits et de ville.

« On a retrouvé des taux jusqu’à 300 fois supérieurs aux doses recommandées par l’OMS », explique le Dr Fode Danfakha, qui était jusque récemment médecin chef de district à Kédougou. Il évoque aussi une présence dangereuse de métaux lourds dans l’organisme des 16 personnes et 21 moutons souffrant de troubles neurologiques et ayant fait l’objet de prélèvements.

Pour la Falémé, peu de chiffres sont disponibles. Pourtant, l’enjeu est de taille : il s’agit du principal affluent du fleuve Sénégal, le 2e cours d’eau le plus important d’Afrique de l’Ouest.

Selon un échantillon prélevé par la BBC, et analysé dans un laboratoire à Dakar, la concentration en mercure dans la Falémé serait plus de deux fois supérieure à la norme sénégalaise. En ce qui concerne le cyanure, les techniques d’analyses sont complexes, coûteuses et difficiles d’accès au Sénégal. Mais son utilisation est courante dans l’extraction de l’or.

Des bassines qui servent à extraire les particules d'or.

Crédit photo, Maria Gerth-Niculescu

Légende image, En mélangeant le mercure dans ces bassines, les orpailleurs peuvent extraire l’or plus facilement.

« Aujourd’hui avec le cyanure déversé là-bas, on ne peut plus pratiquer ces activités économiques, ce qui va rendre les populations encore beaucoup plus pauvres », regrette le Commandant Mamadou Gaye, inspecteur régional des Eaux et Forêts de Tambacounda.

Au-delà des études scientifiques, l’aspect opaque et orangé ainsi que des problèmes de santé avaient depuis longtemps détourné les populations de son usage.

« Avant, on disait que l’eau n’a pas de couleur. Mais quand tu demandes à nos enfants, ils diront que l’eau du fleuve n’a qu’une seule couleur. C’est rouge douze mois sur douze », regrette Souleymane Keita. Les villages riverains dépendent désormais de l’eau de forage, qu’ils doivent parfois acheminer depuis d’autres localités.

Un orpailleur de Bantaco extrait l'or via un procédé artisanal.

Crédit photo, Maria Gerth-Niculescu

Légende image, Un orpailleur de Bantaco extrait l’or via un procédé artisanal.

Prise de conscience ?

La pollution de la Falémé est bien connue du gouvernement. Lors d’une prise de parole à Tambacounda en décembre 2022, le Président sénégalais Macky Sall a même fustigé « le déversement de cyanure et de mercure » dans la Falémé par des utilisateurs « mus par la recherche du gain facile ». Le ministère des mines évoque un projet pour que « l’exploitation de l’or soit réalisée sans pour autant utiliser ces substances nocives » via notamment des « techniques de gravimétrie ». Par ailleurs, le Sénégal et le Mali les « sont en train de trouver une solution pour limiter l’exploitation sur le site » de la Falémé, assure Lamine Diouf, le directeur du contrôle et des opérations minières au sein du Ministère.

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Maria Gerth-Niculescu

Pour BBC Afrique

Source : BBC Afrique (Royaume-Uni)

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