« La vision de “l’Europe à un tournant historique” défendue par la Pologne est à l’opposé de celle de ses partenaires français et allemand »

La guerre en Ukraine a provoqué un réalignement en Europe centrale, faisant émerger un groupe Pologne-Roumanie-Estonie-Lituanie-Lettonie-Finlande, observe, dans sa chronique, Sylvie Kauffmann, éditorialiste au « Monde ».

Le Monde – Le premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, a forcément lu Le Grand Echiquier, œuvre maîtresse de Zbigniew Brzezinski, brillant théoricien et praticien américain des affaires géostratégiques, né en Pologne. Il a forcément adhéré au passage le plus cité depuis un an de ce livre écrit en 1997, dans lequel « Zbig » explique que, sans l’Ukraine, la Russie ne pourra jamais redevenir un empire eurasiatique – raison pour laquelle il faut intégrer l’Ukraine dans l’Union européenne (UE) et dans l’OTAN.

Le Grand Echiquier (Bayard) évoque aussi le triangle de Weimar, qui regroupe la France, l’Allemagne et la Pologne. Avec l’Ukraine, cela pourrait faire quatre, envisage Brzezinski, quatre piliers d’un bloc européen de puissance démocratique. Là, il n’est pas sûr que M. Morawiecki soit aussi enthousiaste, si l’on en juge par le discours qu’il a prononcé, le 20 mars, à l’université de Heidelberg, en Allemagne.

La Pologne a le vent en poupe. Mort en 2017, Brzezinski serait sans doute heureux d’assister à la montée en puissance de son pays natal, même si elle se produit à la faveur d’un événement tragique, la guerre russe en Ukraine. Juste retour des choses : dépecée et martyrisée dans l’histoire, la Pologne s’est débarrassée du joug soviétique à la fin du XXe siècle et a intégré l’UE au XXIe siècle, avec une énergie qui a forcé l’admiration de ses partenaires.

 

Plaque tournante pour l’aide militaire

 

Puis est venu le temps du doute, avec la politique nationaliste du parti Droit et justice (PiS), au pouvoir depuis 2015, en conflit ouvert avec la Commission européenne sur les questions d’Etat de droit. Mais le soutien immédiat et sans faille de la Pologne à l’Ukraine dès les premiers jours de l’agression russe, son accueil exemplaire de millions de réfugiés, sa position de plaque tournante pour l’aide militaire occidentale fournie à Kiev l’ont remise en selle.

 

Les faits ont justifié son hostilité à Poutine, que Berlin et Paris trouvaient obsessionnelle. Elle se constitue une armée impressionnante. A Bruxelles, en 2023, relève un haut fonctionnaire ouest-européen, « les Etats baltes et la Pologne s’affirment, ils sont plus confiants, ils poussent leur narratif ». Ce sont eux qui bousculent les autres Etats membres pour les amener à franchir un palier supplémentaire dans la livraison d’armes à l’Ukraine.

Il faut donc tendre l’oreille lorsque le premier ministre polonais livre sa « vision de l’avenir de l’Europe » dans un discours que ses services placent dans la lignée de ceux du président français, Emmanuel Macron, à la Sorbonne en 2017, et du chancelier allemand, Olaf Scholz, à l’université Charles de Prague, en 2022. Le message est limpide, il émane de « la Pologne qui s’affirme ». Comme MM. Macron et Scholz, M. Morawiecki a choisi un cadre universitaire ancien et prestigieux.

Sa vision de « l’Europe à un tournant historique », cependant, est à l’opposé de celle de ses partenaires français et allemand. Clairement, au quatuor France-Allemagne-Pologne-Ukraine imaginé par « Zbig », Morawiecki préfère le tandem Pologne-Ukraine. C’est d’abord une ode à l’Etat-nation : tout autre système est « illusoire ou utopique ». C’est ensuite une critique en règle du fonctionnement de l’UE : « C’est la taille de l’Union européenne qui fait sa force, pas son système décisionnel de plus en plus incompréhensible. » C’est aussi une dénonciation de « la tentative de l’Europe de créer un homme nouveau, déraciné de son identité nationale ».

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Source : Le Monde – (Le 05 avril 2023)

 

 

 

 

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