Maroc – Une expansion économique sous les auspices du réseau colonial français

Afrique XXI – Analyse · Depuis une vingtaine d’années, le royaume chérifien a entrepris de conquérir les marchés économiques du continent, et notamment de l’Afrique de l’Ouest. Pour ce faire, il s’appuie sur des entreprises et des réseaux dont l’histoire remonte à la colonisation française.

Depuis une vingtaine d’années, le Maroc s’est lancé à la conquête des marchés africains. Ce tournant dans la politique officielle du royaume chérifien a été acté par la tournée économique du Premier ministre socialiste d’alternance Abderrahmane Youssoufi en 1999. Elle a été suivie par la signature en 2000 de l’accord de libre échange et d’investissement avec l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa, la zone CFA ouest-africaine), et, enfin, par les visites du nouveau roi, Mohammed VI, notamment lors du Sommet France-Afrique de Yaoundé de 2001. Cette expansion économique se concrétise autour de l’an 2000 avec un grand nombre de rachats d’entreprises subsahariennes.

Une telle évolution suggère une modification structurelle de l’ordre mondialisé qui, entre les années 1970 et 2000, avait été davantage caractérisé par une asymétrie de rapports hyperconnectés entre les Nords, verticaux entre certains Nords et certains Suds, mais négligeables entre les Suds. En effet, la multiplication des investissements marocains en Afrique est corrélée à l’irruption de nouvelles puissances, comme les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Afrique du Sud) ou les pétromonarchies du Golfe. Elle implique une réduction significative de la part des anciennes puissances coloniales dans les investissements capitalistiques et dans le commerce extérieur de leurs anciennes possessions.

Cela étant, le cas particulier des investissements marocains permet d’appréhender quelques constantes qui supposent des stratégies de remploi de réseaux coloniaux – et postcoloniaux. Les IDE (investissements directs à l’étranger) marocains participent même à une réactivation et/ou à une récupération partielle du réseau économique de l’empire français, mais cette fois au profit d’un pays qui n’était auparavant qu’une simple étape du commerce maritime et des flux humains au sein du réseau colonial français. Ce procédé est parfois direct, via des filiales marocaines qui se font les relais de groupes français ou espagnols investissant en Afrique. Mais, le plus souvent, il y a une réactivation à l’avantage de multinationales marocaines de la structure économique coloniale de l’impérialisme français qui a privilégié le développement de métropoles comme Casablanca, Dakar, Abidjan et Libreville, au détriment des arrière-pays et notamment des territoires sahéliens.

En un mot, la mondialisation contemporaine reformule l’impérialisme économique de l’époque de la colonisation, mais elle ne le rééquilibre pas.

 

Hassan II, relais pro-occidental en Afrique

 

Jusqu’à la fin des années 1990, les relations économiques entre les ex-colonies françaises avaient été aussi économiquement insignifiantes qu’elles étaient univoquement orientées vers l’ex-métropole. En revanche, les relations politiques du Maroc avec un certain nombre de pays d’Afrique subsaharienne, et notamment de l’ex-Afrique-Occidentale française (AOF), ont été intenses et ont jeté les bases de la géographie des multinationales marocaines contemporaines. En effet, le makhzen1 hérite d’un long passé diplomatique avec le Sénégal et le Mali. Cette histoire plonge ses racines dans le moment indécis où ces deux territoires étaient unis au sein de la Fédération du Mali (1959-1960). Une fois le Sénégal parti, Bamako et Rabat furent à la pointe du soutien à l’indépendantisme algérien, au sein de ce qui fut appelé le « groupe de Casablanca » (1961).

À cette époque, le sultan Mohammed V venait d’enlever le pouvoir exécutif au gouvernement progressiste Istiqlal-UNFP. Avec l’appui de certains nationalistes conservateurs, le Palais réfléchissait depuis plusieurs années à s’emparer de la Mauritanie. Cette ambition avait mécaniquement rapproché le Maroc du socialiste Modibo Keita au Mali. Les deux pays étaient notamment opposés au projet français de réunir les zones sahariennes au sein d’un territoire d’outre-mer, l’Organisation commune des régions sahariennes (OCRS), qui était soutenue par la Mauritanie. Toutefois, avec la reconnaissance de la République islamique de Mauritanie (RIM) par Moscou en 19612, puis avec l’indépendance de l’Algérie en 1962, le nouveau roi Hassan II perdit tout intérêt à ce positionnement progressiste inattendu ; et le sommet du groupe de Casablanca, prévu à Marrakech en 1962, fut annulé.

Au moment de s’écrire une Constitution sur mesure, il se rapprocha alors des États-Unis et renforça son alliance avec ses homologues Léopold Sédar Senghor et Félix Houphouët-Boigny, qui avaient fait allégeance à Charles de Gaulle, ainsi qu’avec le Congo (futur ex-Zaïre) de Joseph Désiré Mobutu. Ainsi, ces régimes pro-occidentaux formèrent les quatre piliers d’un espace géopolitique pro-français, par opposition à celui des non-alignés, que l’Algérie, le Mali et la Guinée constituèrent avec des pays comme le Ghana. Dans ce contexte, l’amitié diplomatique avec le Sénégal, scellée en 1964, fut la plus intense et la plus constante : elle déboucha au XXIe siècle sur l’intégration économique la plus poussée.

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Simon Pierre

Doctorant en histoire de l’islam médiéval, Sorbonne-Université.

Source : Afrique XXI

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