RD Congo – Sur les traces du sultanat perdu

Afrique XXIEn ce début de mois de ramadan, des représentants de la communauté musulmane de l’est du Congo entendent mettre en lumière une histoire souvent ignorée : celle du sultanat arabo-swahili, issu de la conquête de ce territoire par les marchands d’esclaves et d’ivoire venus de Zanzibar au XIXe siècle. Retour sur un passé douloureux et méconnu, dont les traces furent effacées durant la colonisation belge.

Que reste-t-il du sultanat des Arabo-Swahilis du Congo ? Alors que débute le ramadan, moment-phare de la spiritualité islamique, la minorité musulmane congolaise (12 % à 15 % de la population, selon la Communauté islamique en République démocratique du Congo) s’apprête à replonger dans ses racines nationales en interrogeant son histoire1.

Venus de Zanzibar en empruntant les routes caravanières pour pénétrer à l’intérieur des terres africaines, ces marchands ont contrôlé toute la moitié Est de l’actuelle République démocratique du Congo (RDC) et y ont exercé une influence politique et économique durant la deuxième partie du XIXe siècle. Ces trafiquants d’esclaves et d’ivoire, au sujet desquels les récits funestes abondent – récits coloniaux pour la plupart –, ont longtemps intrigué, et à certains égards fasciné, les historiens. Pourtant, les vestiges de leur présence passée résident principalement dans la langue swahilie, qu’ils ont introduite au Congo et qui est parlée de manière quasi exclusive dans l’est du pays, et dans la religion musulmane, qui y est installée comme nulle part ailleurs sur le territoire congolais. Aujourd’hui, chercheurs et historiens tentent de documenter ce passé historique alors qu’aucune trace matérielle de leur règne ne semble avoir subsisté.

Arabo-Swahilis, Afro-Arabes, Arabo-Zanzibarites ou tout simplement Arabes, les livres d’histoire se confondent en terminologies pour désigner ceux qui furent les maîtres de la partie orientale du Congo au XIXe siècle. Sur le plan physique, pas grand-chose ne différenciait pourtant ces métisses, noirs de peau pour la plupart d’entre eux, des populations bantoues qu’ils rencontraient. Ces marchands nés à Zanzibar étaient le fruit d’unions de leurs grands-pères omanais, yéménites ou perses avec des épouses et concubines bantoues. Leur destin va se lier à celui du Congo à partir de 1840, après que le sultan de Mascate, Saïd Sayed Bin Sultan Al-Busaïdi, qui régna sur Zanzibar de 1804 à sa mort, en 1856, aura décidé de délocaliser sa capitale impériale à Zanzibar, dans le but de marquer son autorité sur l’île et de se positionner comme un interlocuteur incontournable face aux consulats européens, notamment britanniques et français, attirés par les nouvelles opportunités commerciales dans l’océan Indien.

Une occupation durable

 

Le sultan a conclu avec eux des traités réglementant les conditions du commerce à un moment où les plantations de girofliers de Zanzibar alimentaient le marché mondial2. Cette période correspond également à celle où le monarque a lancé depuis l’île ses meilleurs commerçants à l’assaut des terres africaines pour s’y approvisionner en matières premières, en étoffes, mais surtout en ivoire et en esclaves.

La progression des Arabo-Swahilis à l’intérieur du continent africain va rapidement s’accompagner d’une occupation des territoires perçus comme stratégiques : marchés régionaux, comptoirs commerciaux, cités et villages riches en ivoire ou donnant un accès aux fleuves. Au Congo, ils s’établissent dans la partie Est du pays, le Maniema, vaste territoire adossé au Kivu. Pourtant, cette intention initiale de coloniser de nouveaux espaces semble loin d’être évidente, de l’aveu même des principaux protagonistes. « Nous ne sommes ni guerriers, ni conquérants, expliquait ainsi Tippo Tip, le plus fortuné des traitants arabo-swahilis, mais également l’un des esclavagistes les plus tristement célèbres de l’histoire du Congo. Si nous abandonnons notre famille et notre belle île de Zanzibar, c’est poussés par une dure nécessité : nous devons vivre, et c’est dans le commerce et le trafic que nous cherchons nos ressources, même au prix des plus grands dangers et des privations les plus dures. »3

Noémie Arazi est archéologue et cinéaste, notamment connue pour son documentaire Kasongo (im)matériel consacré au passé arabo-swahili de la République démocratique du Congo. Elle a mené des fouilles archéologiques dans la ville de Kasongo, ancienne place forte des musulmans au Congo. De son point de vue, les Zanzibarites n’ont pas investi le Maniema dans le seul but marchand, mais bel et bien pour le peupler de manière définitive.

Le récit colonial belge présente souvent les Arabo-Swahilis comme des gens qui n’avaient aucun projet pour le Congo et qui n’envisageaient qu’une présence temporaire dans le pays, essentiellement motivée par leur commerce, explique-t-elle. Dans les faits, nous savons que les Arabes ont conclu des traités avec des chefs locaux pour pouvoir s’installer, ils se sont mariés avec des femmes des peuples locaux et ils se sont adaptés à la région et sa population, qui de son côté a fini par s’approprier cette culture-là. Aujourd’hui encore, dans la langue, l’islam, la cuisine ou le style vestimentaire, on ressent clairement l’impact et l’influence laissés par les Arabo-Swahilis.

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Hakim Maludi

Journaliste, fondateur de Dunia Kongo Media, spécialisé sur la communauté musulmane en République démocratique du Congo.

 

 

 

Source : Afrique XXI

 

 

 

 

 

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