France – « A l’université, on ne se sent pas toujours à sa place en tant que personne de couleur »

Contrairement au principe universaliste qu’il défend, l’enseignement supérieur est loin d’être épargné par les discriminations liées aux origines et manque de dispositifs pour les contrer.

M Campus – Meriem Amara, 18 ans, ne compte plus le nombre de fois où on lui a dit qu’une « Arabe » à l’université était une erreur, qu’elle ne venait que pour la bourse, que ses parents « grattaient » l’Etat, et qu’elle prenait la place de quelqu’un d’autre. Certains profs la considèrent comme « exotique ». Parfois, lorsqu’elle se rend à des conférences à la Sorbonne, l’étudiante en géographie se fait tutoyer, « alors que le mec blanc qui passe derrière toi a droit à toutes les formules de politesse qui existent sur terre ».

Son camarade Wade Mulongo, 20 ans, lui aussi étudiant à la Sorbonne, constate : « Quand tu es noir et que tu t’exprimes mieux que d’autres personnes, tu passes pour le “Bounty” : noir à l’extérieur, blanc à l’intérieur. Un jour, j’ai pris la parole et c’est un camarade noir qui me dit “tu fais trop ton Philippe”. Ça m’a titillé, je l’ai calmé tout de suite. »

« Plus on avance sur l’échelle des diplômes (licence, master, doctorat), plus il est rare de trouver des étudiantes noires » – Fatimata Diallo, en master de géomorphologie

Yoan Victor, 19 ans, confirme. « En France, et surtout à l’université, on ne se sent pas toujours à sa place en tant que personne de couleur. » Las des remarques comme « tu n’avais qu’à rester étudier chez toi », « c’est bête de quitter la chaleur pour venir ici » ou bien « tu parles vachement bien français pour un Antillais », l’étudiant en géographie a fini par rentrer en Guyane pour intégrer une école de commerce.

Fatimata Diallo, quant à elle, a été ulcérée par un cours sur l’Afrique sahélienne où l’enseignant affirmait que « la colonisation, si elle a parfois été source de douleur, a apporté un vent de modernisation par sa mission civilisatrice ». D’après l’étudiante de 22 ans, « plus on avance sur l’échelle des diplômes (licence, master, doctorat), plus il est rare de trouver des étudiantes noires ». Elle était ainsi la seule femme noire dans son master de géomorphologie, qu’elle décrit comme « un véritable calvaire », où il fallait « constamment démontrer que les étudiants noirs sont aussi excellents, voire meilleurs que leurs camarades, contrairement aux stéréotypes véhiculés ».

« Forme de déni »

Ces témoignages sont tirés de l’essai Ouvrir la voix, de Candyce Bosson IV (Publishroom, 2021). Lorsqu’elle était inscrite en master à la Sorbonne, entre 2017 et 2019, la tutrice de méthodologie pour l’UFR de géographie a voulu comprendre « pourquoi il y a[vait] si peu d’étudiants noirs dans certains hauts lieux du savoir français ». Dans son mémoire, la jeune femme de 25 ans a donné la parole à une minorité étudiante « peu visible et peu entendue, qui cherche à gravir les échelons d’une société qui étouffe bien trop souvent sa voix ».

 

Quels sont les rouages de la discrimination dans l’enseignement supérieur ? Comment œuvrer à une réussite universitaire plus inclusive ? Les questions soulevées par l’ouvrage font écho aux travaux conduits par l’Observatoire national des discriminations et de l’égalité dans le supérieur (Ondes), lancé en 2022. Sa première étude porte sur les discriminations dans l’accès aux masters, dont la sélection est plus forte qu’en licence, par une campagne de testing inédite en France. Plus de 1 800 demandes d’information ont été envoyées aux responsables de plus de 600 masters. Ces messages émanaient soit d’un candidat avec un nom et un prénom évoquant une origine d’Afrique du Nord, soit par un candidat en fauteuil roulant, soit par un candidat au prénom et nom d’origine française. Les résultats sont sans appel : les candidats d’origine maghrébine sont pénalisés.

« Certains responsables de formation sont encore dans une forme de déni. Ils considèrent normal de moins informer un candidat dont le patronyme évoque une origine maghrébine, car ils pensent que ses chances de succès sont plus faibles et qu’il a donc moins sa place dans un cursus sélectif », commente Yannick L’Horty. Le directeur de l’Ondes souligne la nécessité d’un processus de sélection collégial : lorsque la décision est prise par un unique responsable, les discriminations sont plus élevées.

« Agrandir la focale »

Le coauteur de l’étude invite également à la vigilance dans les filières les plus attractives, qui donnent lieu à des pratiques plus discriminantes : « La pénalité subie par un étudiant qui signale son origine par un prénom et un nom d’Afrique du Nord est maximale dans les filières juridiques. » L’observatoire invite à mieux informer les responsables sur le cadre légal, qui prohibe les discriminations, à éviter l’isolement du responsable de formation, et à sensibiliser aux pièges des stéréotypes et aux biais inconscients.

« Les étudiants ont rarement conscience d’être victimes de discrimination au niveau de l’accès en master » – Pascal Tisserant, vice-président EDI (Egalité, Diversité, Inclusion) de l’université de Lorraine

« La discrimination à l’accès au master était un impensé. Avec l’étude de l’Ondes, pour la première fois, nous avons un état des lieux de la situation », affirme Pascal Tisserant. Le vice-président EDI (Egalité, Diversité, Inclusion) de l’université de Lorraine souligne les difficultés dans l’identification de pratiques discriminatoires : « Les étudiants ont rarement conscience d’être victimes de discrimination au niveau de l’accès en master, car ils ne peuvent pas s’appuyer sur des indices explicites : ils ne font qu’essuyer des refus par e-mail. Or, nos dispositifs de lutte contre les discriminations reposent sur le signalement des victimes par les victimes. » Le maître de conférences signale également une approche « trop compartimentée » des discriminations : « Le focus aujourd’hui est mis sur les violences sexistes et sexuelles [VSS], c’est très bien, mais il faudrait agrandir la focale, et penser ces questions de façon transversale. »

Lire la suite

Source : M Campus
 
 

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page