Aya Nakamura, la « Queen » de la pop française

M Le MagPortraitSes tubes ont fait d’elle l’artiste francophone la plus écoutée dans le monde. Très tôt, la jeune femme a choisi d’être sa propre manageuse et d’assumer elle-même tous ses choix artistiques. Son quatrième album, « DNK », porte tout entier sa patte.

Ce jour de juillet 2022, Kamélia Boudjema tressaille en découvrant un message sur son téléphone. « C’était un truc complètement fou, dit-elle aujourd’hui. Je n’en revenais pas. » En quelques lignes, un homme se disant facilitateur de la tournée internationale de la diva soul Alicia Keys lui demande si elle peut transmettre une invitation urgente à sa meilleure amie, Aya Nakamura. Serait-elle disponible le lendemain pour rejoindre la star sur la grande scène de l’Accor Arena, à Paris ? Alicia Keys souhaiterait reprendre avec elle Djadja, le tube de la chanteuse française. « Je me suis empressée d’appeler Aya, raconte Kamélia Boudjema. Elle m’a répondu : “Alicia Keys, celle que j’écoutais tout le temps quand j’étais gamine, veut chanter avec moi ?” Elle a accepté sans hésiter. »

Quelques heures avant le concert, Aya Nakamura, empêchée, ne peut pas participer aux répétitions. « En attendant, Alicia Keys a bossé comme une dingue pour apprendre les paroles de Djadja. C’était elle qui avait la pression », fait remarquer Samuel Samb, le référent d’Aya Nakamura au sein de son label parisien Rec. 118. Le soir venu, celle qui aime se faire appeler « la Nakamurance » n’a pas le temps d’être présentée en bonne et due forme à Alicia Keys. Crinière d’or et top bleu pastel échancré, elle la rejoint directement sur scène, alors que le concert bat déjà son plein. Devant des milliers de spectateurs, que cette soudaine apparition fait exulter, l’Américaine donne du « ma sœur » à la Française avant que les deux femmes ne se lancent dans leur duo surprise.

En vérité, ces images bras dessus, bras dessous avec une star américaine ne sont rien d’autre qu’une confirmation. Cela fait plusieurs saisons déjà qu’Aya Danioko, qui a pris pour pseudonyme le nom d’un personnage de la série Heroes, succès des années 2000, n’est plus cette inconnue de la cité des 3000, à Aulnay-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis. Elle n’est plus cette chanteuse, moue boudeuse en étendard, débarquée sous les projecteurs en 2015, à la faveur de Djadja, refrain pour l’été.

 

Un succès historique

 

Née à Bamako, aînée d’une fratrie de cinq, elle est arrivée en France enfant gardant la nationalité malienne et a surgi dans le paysage musical sans que personne ne s’y attende.

Il n’est plus question, comme bon nombre de chroniqueurs l’ont fait à ses débuts, de moquer la novlangue, à mi-chemin entre le lexique des quartiers et celui d’Internet, qu’elle aime faire jaillir le long de ses textes en digne descendante d’une famille de griots. Le fameux « Tu dead ça », dans Djadja, ou bien « Je suis dans mon comportement », dans Comportement, sont aujourd’hui deux expressions reprises à l’envi par toute une génération d’auditeurs.

A 27 ans, déjà forte de trois albums, Aya Nakamura sort DNK le 27 janvier et s’est imposée comme l’artiste francophone la plus écoutée dans le monde. Sa musique, un sacré mélange où l’énergie des rythmes afro se fond dans les manières plus délicates du r’n’b, a réussi à toucher tout le pays, des grands ensembles aux pavillons, des sorties des lycées bourgeois aux salles des fêtes rurales, dans un extraordinaire élan populaire.

 

Aya Nakamura, le 9 janvier, à Paris.

Aya Nakamura, le 9 janvier, à Paris.

 

A une époque où le succès se mesure à ce qui se cumule en ligne, les chiffres d’Aya Nakamura affichent des records proprement historiques. Son catalogue de morceaux comptabilise six milliards de streams sur les plates-formes d’écoute. Sur l’album Nakamura, déjà certifié huit fois disque de diamant, le single Djadja en est à plus de 880 millions de vues sur YouTube, tandis que Copines, un autre de ses faits d’armes, vient de franchir la barre des 460 millions de vues. Et sur les réseaux sociaux, ce sont près de vingt millions de personnes qui suivent chaque jour son actualité, dont les trois quarts à l’étranger.

« Avec Aya, qui fait de la musique en français, on pourrait penser que son public potentiel à l’international est limité, mais en fait pas du tout. On n’a jamais vu ça », s’enthousiasme Loan Paturle, responsable du développement international pour le label Rec. 118.

Aya Nakamura, femme noire de banlieue, donne à voir un autre modèle, une autre humeur que la linéarité tranquille incarnée par les autres championnes de la chanson française, d’Angèle à Juliette Armanet en passant par Clara Luciani, avec leur passion du piano et leurs références à la Nouvelle Vague. Son originalité est telle qu’elle a suscité l’intérêt du vénérable magazine américain The New Yorker, qui lui a récemment fait parvenir une demande d’entretien. Il s’agirait là de raconter ce que la chanteuse dit de la France d’aujourd’hui.

« Aya a toujours eu du charisme. Dans les bureaux, on l’appelle “la Queen” », explique Samuel Samb, de Rec. 118. Une reine qui, malgré son succès, reste un peu en marge. On sait bien peu de choses de ce qu’elle vit et pense, et les fantasmes à son sujet sont légion. On la dit tantôt terriblement hautaine, tantôt maladivement timide. Certains en font une vulgaire marionnette de maison de disques, d’autres une très éphémère et très chanceuse artiste de variétés. En tout cas, une star différente. Pas dans les codes, à la fois trop maquillée, trop outrancière dans ses tenues, pas assez présente sur les plateaux télé ni membre d’une bande de célébrités dans l’air du temps.

« Queen Nakamura ». Que pense l’intéressée de ce surnom ? « Au début, ça m’a un peu gênée », dit-elle d’abord, alors qu’on la rencontre un matin de janvier dans l’appartement de son attachée de presse. Après une respiration, elle ajoute : « Mais je m’y suis faite. C’est ma façon d’envisager la vie, comme si j’étais une sorte d’élue ! » Elle rigole, ravie par la malice de cette formule qu’elle semble avoir trouvée à la volée. Avec DNK, pour Danioko, son nom de famille, Aya Nakamura s’est hissée à la hauteur de ce surnom.

Une authentique cheffe d’orchestre

Seule à la barre, alors qu’elle cherchait à donner à ce quatrième album une forme de profondeur, à rebours des émulsions tendance dancefloor qui ont fait jusque-là sa marque de fabrique, Aya Nakamura a pris l’initiative de contacter elle-même, par Instagram, le binôme de producteurs Max à la guitare et Seny au piano. Comme ça, sur le tas, parce que cela irait certainement plus vite qu’en mettant en branle la logistique de son label. « Elle nous a écrit sur le mode : “Salut, ça vous dit de faire une séance avec moi ?” Aucun artiste ne fait ça. D’ordinaire, tout est plus formel », s’étonnent encore les deux musiciens.

Elle n’a qu’une boussole : faire ce qu’elle appelle tout bêtement « du Aya »il y est question d’instinct, et certainement pas de petite mathématique d’industrie.

En studio, la chanteuse fait montre d’une redoutable efficacité. « Aya a une idée très précise de ce qu’elle veut. Elle a de vrais réflexes en matière de réalisation. Quand il y a trop d’arrangements, elle ne se gêne pas pour revenir à quelque chose de plus dépouillé. On est obligé de la suivre », explique Aloïs Zandry, qui fut son partenaire derrière la console pour ses précédents albums.

Une fois en cabine, face au micro, la chanteuse nourrit ses envolées des mille et une bribes de texte qu’elle tape tous les jours ou presque sur son téléphone. Chose rare : il lui faut seulement deux ou trois heures pour enregistrer un morceau. « Elle a une approche très particulière de ses refrains. Il y a quelque chose qui fait forcément mouche dans son écriture. Elle trouve ses formules tout de suite. Ce n’est pas un hasard si Djadja a fonctionné », font remarquer Max et Seny.

Lors de la production de DNK, alors qu’il était déjà 4 heures du matin, Aya Nakamura a demandé à ses deux compères de rester encore un peu en studio avec elle parce qu’elle cherchait absolument à enregistrer une mélodie aux influences caribéennes très marquées, comme seules les artistes des îles les assument d’ordinaire. C’est ainsi que, tout au bout de la nuit, Belleck, morceau-phare du disque à venir, a été mis en boîte. « Je suis comme une cheffe d’orchestre. Avec l’expérience, j’ai appris à imprimer ma patte, à déployer mon univers », résume-t-elle.

Aya Nakamura, le 9 janvier, à Paris.

Aya Nakamura, le 9 janvier, à Paris.

Elle n’a qu’une boussole : la nécessité de faire ce qu’elle appelle tout bêtement « du Aya », sans qu’elle sache trop définir ce concept, si ce n’est qu’il y est question d’instinct, et certainement pas de petite mathématique d’industrie. « Je ne peux pas être hypocrite dans mes morceaux. Je n’ai pas envie d’être à tout prix single de diamant », explique-t-elle. Sur le ton d’une gravité qu’on ne lui connaissait pas forcément, elle dit aussi : « La musique est un milieu difficile. Quand j’ai commencé à marcher, les gens se sont mis à me mettre dans une case. Mais j’ai pris du recul et j’ai avancé dans mon coin. »

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Source : M Le Mag (Le Monde)

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