La France, cet étrange pays qui a perdu sa joie de vivre

Rien ne va jamais en France. Comme si s'adonner au malheur était devenu l'occupation favorite de ses habitants.

Slate – Quand ce ne sont pas les boulangers, ce sont les contrôleurs de train. Ou les raffineurs. Ou les médecins libéraux. Des quatre coins de l’Hexagone, on entend monter les mêmes récriminations, les mêmes peurs, les mêmes constats: la France se disloque, elle se meurt, elle se décompose comme un fruit pourri de l’intérieur. Hormis une caste de privilégiés, c’est partout la même misère, de ces gens qui ne s’en sortent pas et sont condamnés à vivre des existences au rabais.

Le spectacle donné par la France, vu de l’étranger, donne à voir un paysage apocalyptique, une sorte de navire à la dérive qui prendrait l’eau de toutes parts. Voilà un pays où, semble-t-il, on a peur de tout. Peur du chômage, peur des pannes de courant, peur de manquer de produits de première nécessité, peur de ne pas s’en sortir, peur du lendemain, peur de la guerre, peur de l’immigration, peur de la mondialisation, peur de son voisin, peur du déclassement, peur d’avoir peur, peur de tout et de rien, une angoisse généralisée qui se répand dans toutes les couches de la société.

Comme si la France avait perdu toute confiance en sa capacité à affronter les défis de demain. Qu’elle ne croyait plus en son génie collectif. Une sorte de déclin inexorable qui entraînerait le pays à désespérer de tout. Vu de loin, tout semble gris en France. Et infiniment triste. Un pays sans joie, sans ressort, où hormis à travers les exploits de ses sportifs, on ne vibre plus pour rien si ce n’est pour exulter une colère qui s’adresse tout autant aux médias qu’aux politiques, à ces élites divorcées du réel.

En France, tout est toujours sur le point d’exploser. Chaque rentrée, chaque début d’année s’accompagne d’un flot de prévisions catastrophiques qu’on égrène d’une voix blafarde sur les plateaux de télévision. On dirait un catalogue de prophéties bibliques dignes des meilleurs épisodes de l’Ancien Testament. La France va être plongée dans le noir, le pain viendra à manquer, les hôpitaux s’écrouleront, les universités dépériront, les eaux de la Seine se changeront en marais putrides… personne n’en réchappera. Tremblez, tremblez pauvres Français, l’heure du jugement dernier approche!

Comparée à la France, l’Ukraine semble être un pays où il fait bon vivre. La France a perdu les clés du bonheur, de la joie de vivre, de la légèreté d’exister. La moindre contrariété prend des allures de catastrophe nationale. À la première difficulté rencontrée, c’est tout le pays qui s’embrase, et alors chacun regarde l’autre comme si c’était le diable en personne. On ne s’accorde sur rien, on en veut à la Terre entière, et dans cette déréliction qui saisit le pays tout entier, on promet de régler par la violence ou le désordre ce que la loi avait essayé d’imposer.

Probablement faut-il voir dans cette apoplexie de la peur le réflexe d’une population qui, à force d’être secourue par l’État-providence, a perdu le sens des réalités. Il faut avoir vécu quelque temps à l’étranger pour s’apercevoir à quel point en France, l’État, dans toutes ses déclinaisons administratives, veille au bien-être de sa population. Comment il a le souci constant de la protéger, de lui venir en aide, d’essayer d’atténuer par tous les moyens possibles la rudesse de l’existence. Non qu’il y parvienne pour tout le monde, mais au moins a-t-il l’ambition de n’abandonner personne sur le bas-côté.

Sauf qu’à la longue, comme ces médicaments pris si régulièrement qu’on finit par ne plus en percevoir leurs effets, les Français n’ont plus conscience de ces largesses. Ce qui est de l’ordre de l’exceptionnel (les études à peu de frais, la santé gratuite, les aides à foison, le rôle protecteur des amortisseurs sociaux…) relève chez eux de l’ordinaire, du normal, de l’acquis. Si bien que, pris dans un engrenage pervers, il leur faut plus, toujours plus. Et quand l’État, par les limites conférées par ses rentrées d’argent, ne parvient plus à répondre aux attentes des uns et des autres, alors naît ce ressentiment, cette amertume teintée de colère, d’en être oublié.

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Source : Slate (France)

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