Le Monde – Avant chaque rassemblement dans son université, Mona (qui s’exprime sous un pseudonyme) traverse trois phases. « Le matin, jusqu’à ce que j’arrive à l’université, je suis partagée entre l’angoisse et la colère », explique cette Iranienne de 19 ans, étudiante à l’université de Noshirvani, à Babol, dans le nord de l’Iran.
Une fois arrivée, dès qu’elle se retrouve entourée de ses camarades réunis pour crier « Femme, vie, liberté », le slogan phare de l’actuel soulèvement iranien, « c’est un mélange d’espoir, de confiance et de fierté » qui l’occupe. A la fin du rassemblement, elle est traversée « par la peur d’être arrêtée en sortant dans la rue », explique cette jeune étudiante, contactée sur la messagerie cryptée Telegram.
Depuis le 16 septembre, le jour où l’Iranienne Mahsa Amini est décédée à l’issue de sa garde à vue pour son apparence jugée « inappropriée » par la police des mœurs, les universités sont devenues le cœur battant de la contestation. Les étudiants se rassemblent dans leur établissement, font des sit-in, boycottent leurs cours, réclament la libération de leurs camarades arrêtés et scandent des slogans contre la République islamique.
Le soulèvement semble prendre de l’ampleur. La répression reste féroce. Chaque jour, les visages et les noms des victimes surgissent : enfants, adolescents, hommes, femmes, habitants de petites mais aussi de grandes villes, issus de classes défavorisées et moyennes. Hamidreza Rouhi Javan, âgé de 20 ans, est à ce jour le dernier étudiant tué dans les manifestations, jeudi 17 novembre. On déplore aujourd’hui au moins 381 civils tués par la machine répressive, selon l’organisation Iran Human Rights, installée en Norvège.
Solidarité
Mona découvre sur Internet la vie et le parcours des Iraniens tués. Pour elle, chaque décès est une raison de plus pour réclamer le départ du régime. Après la mort de Mahsa Amini, Mona et ses camarades ont essayé de prendre leur repas ensemble, filles et garçons côte à côte, dans la cantine de leur université. En temps normal, comme partout, cette cantine n’est pas mixte. « Un jour, au début du mois d’octobre, l’un des employés de l’université est intervenu pour nous en empêcher. Il a fait tomber deux filles. Le lendemain, les étudiants sont venus avec leurs propres Tupperware et ils ont mangé ensemble en face de la cantine », explique Mona. Certains étudiants ont été convoqués par le Herasat, l’antenne des services de renseignement dans les organisations étatiques. On leur a reproché… d’avoir distribué de la vaisselle jetable.
Mona a souvent vu des membres des forces armées autour de son université et parfois à l’intérieur de l’établissement. Ils n’hésitent guère à faire l’usage de leur arme. Un jour d’octobre où les étudiants essayaient de forcer les portes de la cantine, des hommes, armes et bâtons à la main, se sont amassés autour de l’université. Ils tiraient sur les passants et provoquaient les étudiants en les filmant et en les insultant. Ils ont fini par ouvrir le feu sur ceux qui essayaient de retourner à leur dortoir. Certains étudiants se sont réfugiés chez des particuliers et y ont passé la nuit. D’autres ont été arrêtés. « Je ne comprends pas pourquoi, pour des choses si banales, nous devons être traités comme des criminels, s’interroge Mona. Nous voulons une vie normale, les droits humains basiques. »
Aujourd’hui, il est impossible de savoir précisément combien d’étudiants sont derrière les barreaux, mais ils seraient quelques centaines. Parfois ils sont relâchés puis à nouveau arrêtés quelques jours plus tard. Beaucoup sont interdits d’entrer dans leur établissement, comme Soheil (un pseudonyme également). Etudiant à la faculté des arts plastiques de l’université de Téhéran, il connaît au moins douze autres personnes dans son cas.
Source : Le Monde
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