Il y a 4 jours, le 4 octobre, j’ai publié un texte revenant sur la polémique autour de la prise de parole refusée à Biram Dah Abeid lors de la « journée du grand silence » organisée par OLAN le 30 septembre passé.
Cet évènement, qui avait été relaté par une vidéo sensationnelle, avait eu à provoquer beaucoup de réactions, pendant toute une semaine.
Dans le texte que j’ai publié quatre jours après les faits, j’ai expliqué le contexte de la journée et surtout rappelé les conditions de sa tenue, de son déroulement et les éléments de discipline que l’organisation avait mis en place afin de faire respecter le thème du silence. J’y ai explicité l’action impérieuse que Dieynaba avait la charge de mener pour garder la manifestation dans le thème choisi.
J’y ai mentionné ma reconnaissance sincère à l’endroit de Biram pour sa participation au sit-in, j’ai accordé à son geste le crédit a priori qui lui était dû. J’y ai toutefois pointé du doigt le fait que Biram ait décidé de passer outre une directive des organisateurs qui était tout bonnement logique compte tenu des objectifs de la journée. Il relève en effet du bon sens que de demander à un participant à un sit-in inscrit dans le thème du « grand silence » de ne pas entamer des prises de parole et des interviews qui ne manqueront pas de perturber la manifestation et d’émietter son sens. Je n’avais pas omis non plus de critiquer les réactions qui justifiaient le comportement réfractaire de Biram par un respect dû à sa position politique. En effet un tel argument ouvrait la voie à tous les abus, y compris ceux contre lesquels Biram se dit être un combattant.
Mais j’étais loin d’imaginer qu’au moment où j’écrivais mon texte, des actes d’une gravité supérieure étaient en train d’être menés de façon souterraine. Des actes d’une violence odieuse commis à l’encontre de Dieynaba Ndiom en représailles de sa décision de rappeler Biram à l’ordre. Aux insultes délivrées sur la place publique, à la prolifération de fausses informations distillées à l’encontre de son image, aux appels anonymes véhiculant insultes et diverses grossièretés à son égard ainsi qu’à l’égard de sa famille, se sont ajoutées des menaces de mort ! Dieynaba a subi ce vulgaire état de siège étouffant et impitoyable pendant des jours. Et le harcèlement continue son cours. Elle a eu droit à tous les excès et à tous les abus pour avoir été la jeune femme qui, à juste titre, a rappelé Biram à l’ordre. Une jeune femme qui a rempli un rôle qui incombait à tout autre responsable d’une manifestation : celui de veiller au respect du thème dans lequel s’inscrit la mobilisation !
La diabolisation de son acte a été entamée le soir même du 30 septembre où des rapports ont commencé à pleuvoir sur les réseaux sociaux, sous divers formats numériques que sont des vidéos et des textes, tous prenant bien soin de ne jamais mentionner le contexte et le thème, les seules données pourtant capables de dire la réalité des faits en les situant dans le jeu de causes qui les a occasionnés.
Les auteurs de ces rapports ont communiqué que « Biram a été empêché de parler » ; ils ont répété cette communication comme s’il s’agissait d’un mot d’ordre (à destination de qui ?). Ils s’en sont ensuite offusqués et, tous azimuts, se sont livrés à des condamnations à l’encontre de la militante d’OLAN. Des commentateurs sympathisants de Biram en ont fait autant. Mais l’on userait ici d’un euphémisme si l’on ne qualifiait ces rapports que d’incomplets et de fautifs. Ils ont été plus graves que cela.
Ces rapports, dont l’un a été l’œuvre d’une vice-présidente d’IRA, Madame Ba, qui dit être derrière la présence de Biram au sit-in, n’ont pas été qu’incomplets. Ils ont été clairement manipulés en cachant le fait que Biram a été informé qu’il n’y aurait pas de prise de parole lors de ce sit-in au regard du mode d’expression adopté spécifiquement pour cette journée, à savoir le « grand silence » ; que seul le mot traditionnel faisant office de déclaration de l’organisateur a été prononcé dans les diverses langues ; que la vérité est donc que Biram a essayé de forcer la règle en tentant de prendre la parole ; qu’il a sciemment marché sur une consigne générale qui conditionnait la réussite du symbole du silence opté et préparé par l’organisation des semaines durant.
Il est clair qu’une fois ce contexte rétabli et les faits complétés, l’honnêteté consistera indéniablement à voir l’acte de Dieynaba pour ce qu’il est réellement : à savoir un acte de rétablissement d’ordre après que Biram a décidé de suivre son propre objectif de communication dans une transgression totale de la consigne qui lui a été communiquée.
Autrement dit, Dieynaba n’avait eu que le courage d’aller jusqu’au bout de sa mission pendant que Biram poursuivait l’obstination d’aller jusqu’au bout de son objectif. Seulement, tandis que Dieynaba agissait dans la supervision du bon déroulement d’une manifestation dont elle était responsable, Biram, lui, improvisait une opération de communication politicienne. Là-dessus, si nous nous étions retenus d’y insister dans nos premières sorties par hospitalité, il convient désormais d’éclaircir ce point après que Biram, en dehors de toute loyauté, n’a pas décidé de jouer la carte de l’honnêteté quand il a été questionné sur l’affaire, préférant abonder dans la victimisation qui avait déjà commencé à rapporter de gros bénéfices !
Toujours est-il que, privés de ces éléments de contexte sciemment ectomisés par les rapporteurs les plus actifs, certains esprits se sont échauffés et la haine s’est déferlée, vagues après vagues ; des courants de requalifications des faits se sont mis en branle, occupant ainsi le lit de nombreux articles plus débridés les uns que les autres, sur des plateformes sociales à écho illimité.
Il serait vain de lister tous les commentaires lus, toutes les vociférations perçues, toutes les insultes dardées en projectiles ; il serait impossible de dire tous les jugements gratuits prononcés, les condamnations infondées délivrées et les sentences énoncées. Et bien sûr, il n’est pas à notre portée d’exhiber ici toute la douleur ressentie. Mais cela ne s’est pas arrêté à ce stade. Des menaces de mort ont été proférées, prenant la tête de Dieynaba pour leur cible désignée.
Dans les tous premiers jours qui ont suivi le sit-in, des proches du député Biram Dah Abeid s’étaient déjà engagés dans la surinterprétation de ce qui n’est qu’un rappel à un ordre que leur leader était en train de piétiner (certains d’entre eux n’avaient pas cette partie de l’information). Un membre exécutif du RAG, Monsieur Soumaré, a même parlé du « racisme domestique » !
Pour lui il est raciste d’interrompre Biram quand il se lance dans une action de caractère à plomber le symbole d’une manifestation ! C’est pour le moins irrespectueux pour les victimes du racisme. Le fait d’interpréter un rappel à l’ordre comme du racisme c’est autant une banalisation du racisme qu’une diabolisation de l’ordre ; l’une et l’autre sont hautement inquiétantes quand elles sont exprimées par un militant des droits de l’homme.
Ces sorties partiales et volontairement pétries d’omissions sur le rôle primordial de Biram dans les conditions de l’affaire ont été incontestablement des catalyseurs (voire des marches) de l’escalade de la violence. Du côté de la communication d’OLAN, tout a été fait pour responsabiliser les militants ; les communiqués et lives sont là pour en témoigner. Mais le plus terrible c’est ce qu’en dit Biram.
Au lieu de reconnaître et d’assumer sa part de responsabilité, Biram a, dans une émission sur facebook, qualifié l’acte de Dieynaba comme, selon ses propres mots, « une action agressive ». Ceci avant de se lancer dans une psychanalyse de Dieynaba Ndiom qu’il étend ensuite à l’ensemble des fulɓe (peuls) qui, selon lui, voient en lui un membre de la force haratine qui avait servi à les massacrer 30 ans plus tôt ! Freud n’aurait pas mieux fait !
Donc, les peuls auraient un complexe « de dupe » consistant à se laisser duper par l’appartenance communautaire de Biram et à voir systématiquement en lui un massacreur qu’il faut empêcher de parler lors des sit-ins du grand silence ; mais que par contre Madame Ba « pullo ɓiy pullo », pour reprendre l’attestation sur l’honneur que cette dernière fait sur son identité, peut suivre et défendre autant qu’elle a eu à le faire ? Un complexe tellement grave que tous ces peuls vous ont suivi jusque dans les instances dirigeantes de votre organisation et ont massivement voté pour vous ? Soyons clairs, je ne déplore ni l’adhésion des peuls à votre organisation ni leur vote pour vous.
Je déplore votre insulte monumentale à leur égard quand vous tenez ces analyses délirantes. Ainsi, sûr de votre coup, vous poursuivez, serein dans une posture de victime, vous livrant dans une feinte de charitabilité à peine risible dans la recherche de « circonstances atténuantes » pour Dieynaba Ndiom (ce sont vos termes). Vous avez ainsi décidé que vous êtes clean malgré l’irrespect affiché à l’égard de la consigne du sit-in, que Dieynaba est coupable, mais qu’en tant que pullo (peul) elle souffre d’un traumatisme qui devrait atténuer la peine à lui infliger. Fin des séances jointes de jugement et de psychanalyse !
Toutes ces deux compétences assurées par l’historien qui a soutenu dès la première partie de l’émission que l’esclavage a été aboli dans le sud et pas dans le nord sous le fait de l’action coloniale en désignant un tel contraste comme un exemple d’injustice envers les populations du sud ! Cerise sur le gâteau, ces propos de notre histo-psycho-juge sont aussi ceux de la figure de proue de la lutte anti-esclavagiste du pays.
Bref, votre propos a été tout à la fois : immonde, farfelu et indigne. Mais il est plus qu’indigne, il devient dangereux dans un contexte où les esprits de vos militants à votre écoute étaient en état d’ébullition et qu’au lieu d’assumer tout simplement vos torts, vous avez confirmé la culpabilité de Dieynaba avec votre théorie qui se passe de commentaire. Vous l’avez ainsi jetée en pâture, et ce à très injuste titre. En étiez-vous conscient ? Après avoir évité d’assumer vos torts afin de profiter des recettes d’une victimisation, serez-vous prêt à assumer vos responsabilités dans une affaire, cette fois-ci grave, d’harcèlement et de menaces de mort à l’encontre de cette jeune femme ?
Et un bon soir, après s’être rassasié des retombées médiatiques escomptées, vous nous faites un message qui sonne comme un signal d’arrêt des hostilités envoyé à la brigade déployée sur le terrain : « On remballe, on se lave les mains ! On pense à une coalition pour l’élection qui nous assiège, qui, en réalité, ne nous a jamais quitté l’esprit en étant la boussole maladroitement dissimulée et que l’euphorie du gain de cause a laissé transparaitre.
Non Biram ! Ce feu que vous avez attisé par les souffles de la victimisation et de la désinformation consumera votre méthode, ses cavaliers et son butin. Ce parasitisme exploiteur ne peut plus continuer à servir d’un moyen d’alimentation politique ; en tout cas, ni Dieynaba ni OLAN ne seront de la matière à brûler pour carburer ce troc hideux sur le marché du commerce des sensations.
Cependant, vous avez encore le choix. Vous avez toujours le choix de mobiliser vos aides de camp afin que vous présentiez des excuses publiques à Dieynaba pour avoir participé, par votre rhétorique accusatrice et diabolisante, au lynchage qu’elle continue de subir, puis vous dénoncerez vigoureusement les militants qui sont passés à sa mise en œuvre pratique en ayant traduit ces qualifications honteuses en termes encore plus offensants ayant abouti aux menaces de mort.
Vous avez milité pour une noble cause, celle de l’abolition de l’esclavage. Une cause à laquelle je resterai sensible jusqu’à la moelle. Prenez garde de ces méthodes médiocres et barbares utilisées ici dans son versant politicien dans lequel vous vous êtes engagé, du danger qu’elles finissent par la miner irrémédiablement.
Mouhamadou Sy
Le 9 Octobre 2022 – Facebook
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