La Nigérienne Mariam Kamara, étoile montante de l’architecture en Afrique

 

La maquette en bois représentant le centre-ville de Niamey, en 3D, sur une surface grande comme une table de ping-pong, revient tout juste de la biennale d’architecture de Venise, début juillet. Elle trône dorénavant en bonne place dans l’Atelier Masomi, l’agence créée en 2014 par Mariam Kamara dans la capitale nigérienne. Au centre de la maquette figure le dernier projet de la maîtresse des lieux : un centre culturel dans cette ville qui n’en compte guère.

L’emplacement du bâtiment n’a pas été choisi au hasard : logé au creux de la vallée du Gounti Yenna, il enjambe le cours d’eau qui coupe la ville en deux, du nord au sud, avant de se jeter dans les méandres langoureux du fleuve Niger. L’endroit est un marqueur sociologique et historique, une frontière naturelle au cœur de la capitale. A l’ouest, un plateau surplombe le cours d’eau et la ville basse qui se déploie vers l’est. Les colons français habitaient la partie haute, d’où ils surveillaient les zones indigènes en cas de soulèvement.

Soixante ans après l’indépendance, la division perdure. « Les nantis et les ministères sont sur le plateau qui domine toujours la partie populaire et déshéritée de la ville », explique Mariam Kamara. En tant qu’architecte, elle se demande que faire de cet héritage, d’une ville construite en 1926 par les colons sur des inégalités ? Le centre culturel apporterait un début de réponse conçu « pour être une partie intégrante de la ville, accessible à tous, et un point de rassemblement naturel pour la population. » A la fois pont et point de rassemblement. « Niamey est un animal intéressant, tout reste à faire et je ne suis qu’au début de ma réflexion », ajoute-t-elle.

Plan de la ville de Niamey, au Niger, réalisé par Mariam Issoufou Kamara. Le 27 juin 2022.

 

Ce projet héberge une part de l’âme insufflée à l’Atelier Masomi par Mariam Kamara. « Là où d’autres cabinets expriment leur différence par l’utilisation de matériaux innovants, notre particularité tient à notre approche culturelle, c’est inhabituel », explique-t-elle. La conception de chaque projet commence bien avant de tirer le premier plan. Il y a en amont plusieurs mois de recherche historique, culturelle, économique et sociologique afin que la réalisation s’intègre parfaitement à son environnement.

 

Démarche politique

 

La démarche est aussi politique : « 80 % de la planète vit sous la dictature de la culture occidentale assimilée à tort au modernisme, dénonce l’architecte. Les mots sont forts, mais cette réalité présuppose une absence de culture hors du monde occidental. On aboutit à un monde homogène, à une seule esthétique qui n’a rien d’universel. C’est une dictature qui n’est pas voulue ni planifiée mais bien réelle. »

Son approche prend donc le contrepied de cette globalisation imposée. « Ce qui, dans la conception d’une habitation marche à Niamey, ne fonctionne peut-être pas à Tillabéri », distante de seulement 110 km. A fortiori dans les pays du Golfe, au Liberia, au Sénégal ou à Belo Horizonte au Brésil, autant de pays où s’active l’Atelier Masoni dont l’essentiel de l’activité se déroule hors du Niger.

Niamey 2000 illustre ce travail historico-architectural. Cette résidence d’habitation couvrant 1 700 m2 est la première réalisation de l’atelier, en 2015. Les signes extérieurs de richesse supposent une orgie de verre, de marbre, de ciment et de céramique. Autant de matériaux accumulant la chaleur et qui implique donc de vivre fenêtres fermées et de faire tourner la climatisation à fond. Rien de tel à Niamey 2000.

Avant de se lancer dans la construction, Mariam Kamara a rendu visite à son illustre confrère, le Germano-Burkinabé Diébédo Francis Kéré, lauréat 2022 du prix Pritzker, la plus haute distinction du monde de l’architecture décernée pour la première fois à un Africain en mars. Au Burkina Faso voisin, elle redécouvre des pratiques de construction oubliées, notamment l’utilisation de briques de terre crue compressées (BTC) composées à 95 % de latérite et à 5 % de ciment, totalement adaptées à l’environnement : souci écologique et économique, isolation thermique, ventilation naturelle qui transforme par effet cheminée, l’air chaud en courant d’air…

Complexe d’appartements Niamey 2000, au Niger, conçu en terre et béton en 2016 par l’architecte Mariam Issoufou Kamara, en collaboration avec Yasaman Esmaili, Elizabeth Golden et Philip Sträter. Le 30 juin 2022.

 

Mariam Kamara se met alors en chasse des quelques artisans nigériens maîtrisant encore cette technique et qui ont survécu à l’invasion des parpaings. Elle en déniche à Agadez, la « porte du désert », construite au XVe siècle sur les franges sud-est du Sahara, où subsiste notamment un minaret d’adobe de 27 mètres, le plus haut jamais construit en terre crue. A Niamey 2000, les ferronneries des portes et fenêtres viennent quant à elles du marché Katako, à Niamey, où les artisans travaillent des métaux de récupération et s’inscrivent dans une tradition métallurgique africaine millénaire.

« Comprendre les savoir-faire qui existent déjà nécessite d’étudier les traditions locales avant de proposer un projet », résume-t-elle. Niamey 2000, c’est aussi des détails qui illustrent cette démarche singulière. Tels que ces bancs encastrés dans les murs ou bien ces toits en terrasse. « Les constructions occidentales sont conçues pour des familles nucléaires. Elles ne correspondent pas aux besoins des Africains qui aiment se retrouver dehors », explique Mariam Kamara. Les logements de Niamey 2000 sont ainsi conçus pour évoluer, s’agrandir au gré de la croissance de la famille. « Il faut se poser des questions simples pour arriver à des réponses authentiques. Au bout du compte, la forme sera ce qu’elle sera », conclut l’architecte.

 

« J’ai plus à apporter ici qu’aux Etats-Unis »

 

Cette démarche l’a amenée à oublier ce qu’elle avait appris durant ses années d’études à l’université de Washington. Cette déprogrammation est paradoxale pour celle qui, dans une première vie professionnelle, a exercé dix ans durant la programmation informatique aux Etats-Unis avant d’assouvir l’envie adolescente de devenir architecte. Quant à s’installer à Niamey, l’idée était naturelle : « Rester aux Etats-Unis, compte tenu de l’offre, aurait été un gâchis, j’ai plus à apporter ici, au Niger. »

Mariam Issoufou Kamara, architecte et membre fondatrice du collectif international d’architectes United4desighn dans son bureau, l’Atelier Masomi, à Niamey, au Niger, le 27 juin 2022.

 

Ce n’est pourtant pas là, dans ce pays sahélien enclavé, que Mariam Kamara a vu le jour en 1979, mais en France, à Saint-Etienne, l’année où son père Mahamadou Issoufou a obtenu son diplôme à l’Ecole nationale supérieure des mines. Mais si l’on connaît le nom de celui qui fut ingénieur dans la filiale nigérienne d’Areva, c’est parce qu’il fut président de la République du Niger (2010-2021). « Faut-il vraiment parler de ça ? », demande ingénument Mariam Issoufou Kamara, elle qui, souvent, gomme son nom de jeune fille, non par reniement familial, mais pour ne pas voir sa légitimité professionnelle précédée d’un « fille de… », nécessairement réducteur.

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Source : Le Monde 

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