Il est à peine 13 heures, les élèves ont rangé leurs cahiers et poussé les tables-bancs pour danser au milieu de la classe. Dehors, la température avoisine les 40 °C au soleil, mais la salle est fraîche, aérée. Une légère brise souffle à travers de grandes persiennes vertes. Nul besoin ici de ventilateurs ou de climatiseurs : « Il ne fait jamais plus de 25 °C à l’intérieur, les enfants n’ont pas de difficulté pour se concentrer ! », s’enthousiasme Abdoulaye Ouédraogo, le directeur de l’école primaire de Ziniaré, à une trentaine de kilomètres au nord-est de Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso.
Bienvenue au « village opéra », une vaste utopie architecturale réalisée par Francis Kéré, le premier Africain à avoir reçu le prix Pritzker, considéré comme le Nobel d’architecture. Ecole primaire, cantine, logements, dispensaire, ateliers et résidences d’artistes… L’ensemble d’une vingtaine d’hectares est né d’un pari fou. Celui de bâtir un opéra en pleine brousse, avec des matériaux naturels locaux et l’aide des communautés environnantes.
Depuis, le projet hors norme, toujours en chantier, est devenu un lieu de curiosité pour les visiteurs étrangers, une source d’inspiration pour les ingénieurs du pays et même un décor de cinéma pour les tournages de films.
En 2009, quand Christoph Schlingensief découvre les terres arides du Burkina Faso, le célèbre dramaturge allemand se sait condamné. Le metteur en scène, à qui l’on a diagnostiqué un cancer, souhaite néanmoins réaliser le projet de ses rêves. Un « village opéra », qui serve à la fois d’espace artistique pour les enfants et de plate-forme d’échanges culturels pour « apprendre de l’Afrique ».
« Climatisation traditionnelle »
L’idée n’est pas de « construire un lieu pour écouter chanter des arias et jouer un orchestre symphonique », insiste alors l’artiste, qui décide d’approcher Francis Kéré. L’architecte germano-burkinabé vient de construire la première école de son village, à Gando. « Personne n’avait entendu parler d’opéra, on avait du mal à y croire, mais les premières maquettes de Christoph nous ont impressionnés », se rappelle Motandi Ouoba, l’administrateur du site, qui fut sceptique au début de l’aventure.
Pourtant Christoph Schlingensief et Francis Kéré se lancent et repèrent une colline près de Ziniaré. La terre rouge n’est alors qu’un vaste champ parsemé de quelques arbres épineux. « C’était un lieu de sacrifices pour les communautés, on a aussi retrouvé des traces de vie ancienne avec des restes de fours métallurgiques et des vieilles scories », raconte l’administrateur.
Alors que la plupart des écoles sont fabriquées en parpaing avec toit de tôle ondulé – des matériaux peu chers, mais qui chauffent rapidement au soleil –, Francis Kéré décide d’utiliser l’argile, la latérite et le bois, qu’il trouve sur place.
Il recrute aussi des maçons dans les villages proches et développe une technique de fabrication de briques innovante, en mélangeant de l’argile avec 8 % de ciment, un peu d’eau et en utilisant une presse mécanique. « Les habitants étaient surpris de voir que l’on pouvait construire avec ces matériaux considérés comme pauvres, des bâtiments aussi solides et à moindre coût », explique Nataniel Sawadogo, le directeur des projets de Francis Kéré.
Le premier bloc, seize bâtiments comprenant l’école et les logements des enseignants, sera finalisé en 2011, un an après le décès de Christoph Schlingensief. Pour améliorer le confort climatique des classes, Francis Kéré a imaginé un ingénieux système qui s’adapte au climat et respecte l’environnement. Les briques en argile permettent une meilleure isolation thermique tandis qu’une double toiture ombrage la façade et facilite l’aération des pièces. « L’air chaud remonte tandis que la masse froide, plus lourde, descend, des charpentes en eucalyptus permettent aussi aux bâtiments de respirer », explique l’ingénieur Nataniel Sawadogo.
Les logements sont également équipés de conduits d’aération reliés à un toit-terrasse. S’inspirant d’une technique ancestrale, l’architecte fait poser une jarre d’eau en terre cuite dans chaque cheminée. Au passage du vent, le récipient envoie une brume fraîche à l’intérieur du bâtiment. « Cela fait office de climatisation traditionnelle », résume Motandi Ouoba, sur le toit d’une maison destinée aux artistes, surplombant la forêt voisine.
Lenteur et mouvement perpétuel
Le « village opéra » accueille aussi des résidences d’artistes européens et africains à l’année. En janvier, une performeuse turque est venue avec sa machine à coudre et a eu l’idée de fabriquer des habits entièrement dessinés par les enfants, pour en faire un défilé de mode, sur la colline. Théâtre, danse, ateliers de contes et de marionnettes… Trente heures par mois environ, les « enfants opéra » s’initient à l’art et s’ouvrent au monde, tout en suivant le programme scolaire dispensé par des enseignants d’Etat.
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