Bakary Samb : « Les Maliens rêvent avant tout de liberté et de démocratie »

Entretien avec Bakary Samb, directeur régional du think tank africain "Timbuktu Institute", sur la situation au Mali et le point de vue des pays voisins.

Deutsche Welle – Lundi 14 août, le président sénégalais et président en exercice de l’Union africaine, Macky Sall, a effectué une visite-éclair à Bamako. Une visite « d’amitié et de travail » qui n’a duré que quelques heures mais qui était cruciale pour tenter d’amorcer un réchauffement entre le Mali et ses voisins africains.

Depuis la prise de pouvoir des militaires – il y aura deux ans le 18 août 2022 – le Mali entretient en effet des relations diplomatiques compliquées avec les Etats qui l’entourent. A l’international, ses rapports avec les pays occidentaux et l’Onu ne sont pas non plus au beau fixe.

Pourquoi est-ce dangereux et pourquoi est-il nécessaire de renouer le dialogue avec les militaires ? Eléments de réponse avec le Dr. Bakary Samb, directeur régional du think tank africain « Timbuktu Institute »,, au micro de Konstanze Fischer.

Interview de Bakary Samb

Macky Sall était en visite lundi [au Mali]. Il a eu des mots assez amicaux. Comment cette visite a été perçue au Sénégal, selon vous qui êtes basé à Dakar?

Cette visite a été nécessaire. D’abord, il y a un continuum socio-historique et culturel très, très important entre le Mali et le Sénégal. Ce sont les mêmes populations. L’autre chose est que la question de la stabilité du Mali est un enjeu stratégique majeur pour le Sénégal et la Côte d’Ivoire. La présence russe aujourd’hui au Mali aussi pose d’autres paradigmes parce que ces deux pays vont être des pays producteurs de gaz, qui vont être vus par Moscou comme étant des pays qui limiteraient leur capacité de contrainte et de pression sur les puissances européennes. Donc, il y a des enjeux stratégiques énormes.

L’autre chose, c’est que quand on est en face d’un pays comme le Mali, où on a du mal aujourd’hui à tenir la sécurité au niveau de la capitale, il faut nécessairement revoir la coopération militaire, mais aussi voir quelles sont les mesures à prendre pour que, justement, l’épicentre de la violence à partir du Mali, telle qu’on l’a vécue dans les années 2010, ne se répande pas sur les autres pays voisins.

Et vous pensez que la junte serait ouverte à de tels rapprochements?

La visite de Macky Sall peut être analysée comme une main tendue, il faut que ces mains tendues-là se multiplient dans la région pour qu’on leur dise qu’il faudrait sortir du déni de la réalité. La réalité sécuritaire est catastrophique. Hélas, on est dans une situation tendue avec les 49 soldats ivoiriens retenus et aujourd’hui, je me pose beaucoup de questions sur la disponibilité des autorités maliennes à vouloir entendre raison, à vouloir véritablement collaborer avec ces pays-là. Mais, je le rappelle : cette collaboration est nécessaire, non seulement pour la sécurité du Mali, mais pour la stabilité de la région.

Une question à présent sur la Minusma. Les relations ne sont pas très bonnes non plus entre Bamako et l’ONU. Quelles seraient les conséquences d’un retrait de la Minusma?

Si on prenait le risque de faire partir ces soldats sans mesures alternatives, c’est-à-dire sans force africaine, qui est en attente depuis très longtemps, sans une disposition de la CEDEAO ou d’autres forces à vouloir prendre la relève, je crois que ce serait une catastrophe sécuritaire pour toute la région. C’est pour cela que c’est un enjeu majeur pour lequel je crois que ça vaudrait des concessions.

Sauf que là aussi, on a l’impression que la junte malienne n’est pas prête à faire de telles concessions. Elle empêche aussi, par exemple, l’accès des experts de l’ONU sur des sites pour des enquêtes concernant des violations de droits de l’homme…

Il est vrai qu’aujourd’hui, on ne devrait pas laisser des massacres être perpétués au cœur d’un pays comme le Mali. Mais je pense que l’urgence aujourd’hui, c’est d’abord de tendre la main aux autorités de la transition, de réaliser les conditions d’un dialogue possible pour maintenir le minimum, c’est-à-dire la présence de la Minusma, l’assistance des pays voisins et après s’occuper des questions de droits de l’homme.

Bien qu’il faille dès à présent mettre en place des mesures d’urgence parce que la situation humanitaire se dégrade de jour en jour dans le centre du Mali et qu’on craint même un débordement aussi dans le Liptako-Gourma, vers le Burkina Faso ou vers le Niger.

Comment faire par ailleurs, pour qu’à l’intérieur du Mali, où on a l’impression que toute voix contestataire et immédiatement étouffée, il y ait une prise de conscience de cette situation?

Oui, mais c’est qu’on est en train de payer tout de même le lourd bilan de l’échec de la communauté internationale dans son intervention au Mali, qui n’a ni gagné la guerre contre le terrorisme ni la paix avec les populations locales.

Donc, la junte a encore du crédit à surfer sur ce mécontentement général, ce qui aussi coïncide sur le continent avec un vent nationaliste protestataire, avec un discours souverainiste où les nouvelles générations africaines ne veulent pas vivre de la même manière les relations qu’on avait avec l’Europe que leurs prédécesseurs.

Mais je crois que la réalité finira par prendre sa revanche.

Maintenant, il est très difficile dans un pays comme cela, avec les intellectuels, les chercheurs qui n’arrivent plus à retrouver leur liberté de ton, de faire l’éveil des consciences. Est-ce qu’on peut aider le Mali malgré lui? C’est cela

la question qui se pose aujourd’hui.
La logique voudrait qu’il y ait un plus fort engagement et non pas un délaissement du Mali, ce pays qui a tant besoin du soutien de ses voisins et de la communauté internationale.

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Konstanze Fischer

Source : Deutsche Welle (Allemagne)

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