Dans la diaspora africaine, des concours pour valoriser des « canons de beauté peu représentés » en France

Pour les communautés subsahariennes, les élections de « Miss » et « Mister » qui se multiplient depuis vingt ans sont l’occasion de célébrer leurs racines et de revendiquer leur double culture.

Le Monde   – Debout devant le miroir d’un petit studio de danse du XXe arrondissement de Paris, Netty, David et Maëva, une bouteille d’eau à la main en guise de micro, répètent timidement le discours qu’ils devront tenir le soir de la finale de « Miss et Mister Gabon France », prévue en octobre. Leur coach d’élocution les a prévenus : le jour J, ils devront être des « lions dans l’arène » et des « Beyoncé » pour gagner les faveurs du public.

Ce dimanche 17 juillet au matin, les coachs de sport, de défilé, d’élocution et de media training se succèdent trois heures durant afin que les candidats soient fin prêts pour le grand soir. Juste derrière la porte du studio, Jesse Guillot, la présidente du comité organisateur, et Patricia Moukambi, l’intendante, font encore passer des castings en visioconférence. « Tu peux nous dire qui était le premier président du Gabon ? », demandent-elles à Kévin, qui ne s’attendait visiblement pas à un test de culture générale.

Des chanteurs connus, comme les rappeurs MHD et Naza, sont parfois invités pour animer les soirées

« Miss Gambie France », « Miss Mauritanie France », « Miss Côte d’Ivoire France »… Des dizaines de concours de beauté sont organisés dans l’Hexagone par les diasporas subsahariennes, avec parfois des déclinaisons ethniques comme « Miss Soninké France » ou « Miss Peul Diaspora » et des élections masculines. Ces shows se sont multipliés depuis le début des années 2000, même s’il est difficile d’estimer leur nombre exact compte tenu du caractère confidentiel de certains événements.

 

Les élections qui se tiennent dans la capitale ou sa petite couronne sont souvent précédées de spectacles traditionnels et de dîners. Des chanteurs connus en France et dans les pays d’Afrique francophone, comme les rappeurs MHD et Naza, sont parfois invités pour animer des soirées qui peuvent durer jusqu’à l’aube, attirant des centaines de spectateurs.

Mettre à l’honneur les « femmes rondes »

L’enjeu est notamment de valoriser « la beauté subsaharienne et les canons de beauté africains, peu représentés dans l’espace public », explique le doctorant en sociologie Ousseynou Sy, co-auteur d’un article sur le concours « Miss et Mister Sénégal-Mali » publié en 2018 dans la revue Hommes & Migrations. A l’occasion de ces événements, la pigmentation et les coiffures naturelles sont mises en avant et « les jeunes filles et les jeunes garçons viennent prendre des repères », poursuit-il.

Avec le concours « Reine Bantou », créé en 2015 en France, Jennifer Saraiva Yanzere, aujourd’hui ministre centrafricaine de la culture, a voulu mettre à l’honneur les « femmes rondes » – les critères de sélection exigent une taille qui dépasse le 42. Si elle a initié ce concours réunissant des participantes d’origines centrafricaine, camerounaise, congolaise ou gabonaise, c’est aussi pour « pousser la diaspora à s’intéresser à sa culture », notamment « ceux qui ne peuvent pas venir en Afrique se ressourcer ». « Dans cet événement, nous montrons aux jeunes dames comment s’habiller à l’africaine, comment se coiffer à l’africaine et comment valoriser sa beauté africaine », résume la ministre, qui veut croire qu’à travers de telles manifestations, « notre culture traverse le monde ».

 

Charlène Wayemala, organisatrice du concours « Miss Centrafrique France », veut elle aussi faire de l’élection une vitrine pour son pays d’origine. « On nous dit : “C’est où la Centrafrique ? Ah oui, Bokassa !” On veut faire connaître le pays sous une autre forme », explique cette auxiliaire de puériculture.

Ces événements peuvent être une aubaine pour certains partenaires associés. « Les coiffures sont confectionnées par des salons afro, les tenues par des artisans africains qui contactent eux-mêmes des vendeurs de tissus », énumère Ousseynou Sy. « Les entreprises finissent par collaborer entre elles. C’est de la visibilité pour les marques, des business qui voient le jour », abonde Jesse Guillot, de « Miss et Mister Gabon France ».

Mais les concours sont parfois portés à bout de bras par quelques jeunes femmes sur lesquelles repose une grosse logistique. Pour financer l’élection « Miss Centrafrique France », Charlène Wayemala a fait appel à des sponsors, mais elle a aussi dû organiser des barbecues, des soirées dansantes et des lotos associatifs.

Ambassadeurs de projets humanitaires

Sephora Pongo Kanda, 25 ans, présidente du comité « Miss RDC Diaspora France », en a aussi bavé pour préparer les dernières éditions. « On doit nourrir les filles, faire des répétitions… On a aussi eu un projet de téléréalité. Et tout ça à notre charge », raconte celle qui a repris les rênes du concours après l’avoir remporté en 2017. Elle dit être allée demander des conseils à Geneviève de Fontenay, à la tête du comité « Miss France » pendant plus de vingt-cinq ans, pour s’assurer que son concours se tienne dans les règles de l’art. Depuis, elle n’hésite pas à s’imaginer un destin de « Geneviève congolaise ».

 

Les concours de beauté de la diaspora bénéficient souvent d’une couverture médiatique dans les pays d’origine, qui permet aux candidats de gagner une certaine notoriété. En allant en République démocratique du Congo (RDC) après sa victoire, Sephora Pongo Kanda raconte ainsi avoir été accueillie par « des gens qui avaient des tee-shirts avec [sa] tête dessus ». Gloria, une assistante comptable en alternance, sacrée deuxième dauphine lors de l’édition 2022 de « Miss RDC Diaspora France », a quant à elle trouvé « un patron pour septembre dans un cabinet » grâce à l’aide du comité.

Ces rois et reines de beauté prennent leur rôle très au sérieux. Après leur victoire, ils deviennent les ambassadeurs de projets humanitaires dans leur pays d’origine : campagne de Miss Guinée France 2020 contre l’insalubrité à Conakry, fourniture de produits de première nécessité pour les enfants albinos par la deuxième dauphine de Miss Gabon France 2019…

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Hadrien Valat

Source : Le Monde (Le 21 juillet 2022)

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