« Comment défendre Kiev au nom de la démocratie quand cela suppose de s’allier à une ou des autocraties ? »

Après avoir promis de prendre ses distances avec l’Arabie saoudite, Joe Biden va solliciter l’aide de Riyad pour notamment faciliter l’embargo européen sur les hydrocarbures russes.

 Le Monde – Quand Air Force One se posera en Arabie saoudite, le 16 juillet, le président des Etats-Unis sait ce qu’il lui faudra faire : manger son chapeau. Car Joe Biden, faisant campagne en 2020, s’était promis, s’il accédait à la Maison Blanche, de traiter Riyad en paria – en somme, tenir cette capitale à distance et faire preuve à son adresse d’une « aimable négligence », comme on dit en jargon diplomatique américain.

Ces préventions remontent à l’affaire Jamal Khashoggi, encore dans toutes les mémoires à Washington. Dissident saoudien réfugié aux Etats-Unis, Khashoggi a été étranglé jusqu’à ce que mort s’ensuive, puis son corps démembré à la scie, en 2018, au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul. Il s’était rendu en Turquie pour régulariser des papiers d’identité. Verdict de la CIA : le meurtre a été commandité, à tout le moins approuvé, par l’homme fort de Riyad, le prince héritier Mohammed Ben Salman.

 

Depuis, Biden avait encore juré de ne plus parler qu’au roi Salman en personne, jamais à son impulsif rejeton, « MBS », responsable de sept ans d’une guerre atroce au Yémen et d’une répression féroce à l’intérieur.

Après tout, les Etats-Unis ont les moyens, en pétrole et en gaz, de ne plus dépendre de l’or noir du Golfe, notamment des fabuleuses réserves saoudiennes. Liés à la « maison des Saoud » depuis quatre-vingts ans, ils sont plus que jamais les garants de la sécurité du royaume. Enfin, dans la lutte contre l’expansionnisme régional et les velléités nucléaires de l’Iran, Riyad est, là encore, l’obligé de Washington. Conclusion ? A l’instar de Barack Obama, dont il fut le vice-président, Joe Biden, au nom des droits humains, ne veut plus taire les réserves que lui inspire son vieil allié saoudien.

Comme un mauvais vent de sable

Seulement voilà, la conjoncture a changé, emportant, comme un mauvais vent de sable, les promesses du candidat Biden. Washington a aujourd’hui un urgent besoin de Riyad. A quelques mois des élections législatives de mi-mandat, début novembre, il faut faire baisser l’inflation, et notamment le prix de l’essence à la pompe – ce qui suppose que l’Arabie saoudite s’engage à produire plus de pétrole. Faciliter l’embargo européen sur les hydrocarbures russes, autre objectif des Etats-Unis, conduit aussi à solliciter un surcroît de production saoudienne. Ainsi vont les impératifs intérieurs américains et ceux de la bataille que mènent les Etats-Unis pour contrer l’impérialisme russe en Ukraine.

Mais pour obtenir tout cela, il faut parler à « MBS », celui qui décide à Riyad et qui risque fort d’être à la tête du royaume jusqu’à la fin du siècle. La réalité a souvent cette façon déplaisante de s’imposer et, en l’espèce, elle malmène les préoccupations morales du candidat Biden – sa volonté de se démarquer d’une théocratie saoudienne au profil tyrannique des plus prononcés. D’où le voyage en Arabie, à l’occasion duquel le président américain s’entretiendra avec nombre de dirigeants arabes parmi les plus autocratiques : encore un mauvais coup de la « réalité » !

 

Essayiste et éditorialiste sur CNN, l’Américain Fareed Zakaria s’interroge sur la pertinence de l’argumentaire choisi par Joe Biden dans l’affaire ukrainienne. Fallait-il justifier le soutien accordé à Kiev en évoquant le vaste affrontement politico-idéologique opposant aujourd’hui les tenants de la démocratie aux promoteurs de l’autocratie ? Pour rallier le plus grand nombre de pays, n’eût-il pas été plus efficace de se contenter du b.a.-ba du droit international : le refus d’une agression parfaitement injustifiée ; le respect de l’inviolabilité des frontières ; la défense du libre choix de ses partenariats par un pays souverain ?

Comment défendre Kiev au nom de la démocratie quand défendre Kiev suppose de s’allier à une ou des autocraties ? Question complexe qui, durant la guerre froide, fut celle posée par certaines des alliances nouées contre l’Union soviétique. Elle resurgit ces jours-ci. Américains et Européens se sont étonnés des réactions observées au lendemain de l’agression russe contre l’Ukraine. Ici et là en Afrique, dans le monde arabe, en Asie et en Amérique latine, on ne condamnait pas le Kremlin ou on s’est refusé aux sanctions contre Moscou.

Les « clients » sûrs se font rares

Cette posture fut parfois celle de pays par ailleurs proches de Washington, comme les Emirats arabes unis, et dont la sécurité dépend de la protection américaine. Mais, aujourd’hui, dans ce qu’on appelle le « Sud global », les fidélités stratégiques existent de moins en moins. A l’ONU, on sera, selon les cas, tantôt du côté des Occidentaux, tantôt du côté de la Chine ou du côté sino-russe. Les « clients » sûrs se font rares.

Les Occidentaux sont, une fois de plus, confrontés à la question de la place des droits de l’homme dans la diplomatie. Ou à l’impossibilité d’ériger lesdits droits en critère unique d’une politique étrangère efficace. Américains et Européens doivent tenir tête au duo Chine-Russie, décidé à faire refluer partout l’influence des Occidentaux sur le système international.

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