Sénégal – Vous nous faites honte

Le Quotidien – Dans un salutaire billet d’humeur, le journaliste Adama Ndiaye, observant le climat politique sénégalais, souligne : «Chaque fois que l’on croit, ou que l’on espère que le fond a été atteint, une figure politique creuse encore plus profondément le sillon de l’indécence.»

Le Sénégal a rayonné en Afrique grâce à ses élites. La politique intérieure, elle, a toujours été un terrain de luttes, de violences verbales et même physiques. Mais jamais nous n’avons atteint ce niveau de dégoût que le monde politique inspire. Jamais nous n’avons eu à expérimenter un tel degré de médiocrité et de vulgarité.

L’obscénité est érigée en norme. Il faut être grossier, vulgaire, devenir presque l’incarnation de la crasse bêtise pour se sentir intéressant et porteur d’une offre.

Nous vivons dans une époque où la confusion est souvent faite entre radicalité et extrémisme. Etre radical, c’est puiser dans l’étymologie du mot et prendre en charge les questions à la racine, là où elles naissent, pour en faire un discours et une position politique. L’extrémisme, qui décrit davantage nos acteurs politiques, est le refus de la nuance et le choix de la violence primaire dans la structuration de son discours et la manière de l’articuler dans l’espace public.

J’ai été éduqué dans une forme de fascination pour le politique. Et nourri des conditions sociales de mon milieu, j’en ai tiré une grande conclusion, qui est aussi une forme d’éthique de conviction : le politique est l’outil ultime pour transformer le réel, changer qualitativement la vie des gens et ériger une société plus juste. Tout est politique. Tout.

C’est la raison pour laquelle j’ai honte quand j’observe les médiocres qui tiennent le haut du pavé. Je vois ces incultes, qui ne se soucient que d’affaires électorales, s’agiter dans leurs bravades pauvres en idées et en langue. Des agités sans consistance, qui n’ont qu’une finalité : se maintenir au pouvoir ou le conquérir pour se servir. L’opulence et la gloire sont leur unique motivation.

L’un de mes plus grands mystères est le chemin par lequel un ministre ou un député décide de souiller son manteau institutionnel pour verser dans la vulgarité. Le tableau est consternant. Un ministre insulte publiquement un opposant politique en usant de mots qu’un citoyen lambda n’oserait sortir devant ses enfants…Un député reproche à un directeur d’une entreprise publique de ne pas utiliser les deniers publics pour financer les activités du parti… Un autre parlementaire appelle des militants à attaquer les domiciles de membres du gouvernement qui sont des caches d’argent… un individu jugé pour assassinat d’un juge a rejoint la plus grande coalition de l’opposition en compagnie d’un homme apparu sur la scène publique par des insultes d’une absolue violence…Bref, ils nous imposent une farce de mauvais goût. La presse en complice de cette messe symbole de la mort de la grande politique dans notre pays.

Pour que le décor morbide soit bien complet, il y a l’irruption des amuseurs publics d’internet, les «liveurs». Derrière ce nom barbare se cache le profil d’un youtubeur –souvent de la diaspora, mais ils ne sont pas les seuls– qui déroule une litanie d’insultes à l’encontre d’hommes et de femmes politiques. Il les accuse, sans preuve évidemment, d’homosexualité, de vol, de viols, de crimes, de franc-maçonnerie… Il lance des appels au meurtre et à l’insurrection, jette l’opprobre sur les institutions de la République et imagine des complots partout. Des Sénégalais de cette nature, qui sont l’incarnation de tout ce que la Nation secrète de plus vil, gagnent en honorabilité, sont invités sur les plateaux de télévision et apparaissent même aux côtés d’hommes politiques de premier plan voire au cœur des institutions de l’Etat.

Chaque camp a ses oisillons sur la toile, qui crachent leur venin au mépris de la décence et des lois.

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Hamidou ANNE

 

 

 

 

Source : Le Quotidien (Sénégal)

 

 

 

 

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