« Il est temps que les Sénégalaises cessent d’être traitées comme des citoyennes de seconde zone »

Le Monde – Tribune – Pour les élections législatives prévues le 31 juillet, le non-respect de la loi sur la parité a valu à des coalitions politiques le rejet de leurs listes. Cette « négligence » renseigne sur l’idéologie rétrograde et sexiste qui règne en politique au Sénégal. Plus largement, nous constatons la montée d’un discours tendant à décrédibiliser la loi sur la parité, la faisant passer aux yeux de l’opinion publique comme un « danger pour la démocratie ».

Nous rappelons que la parité n’est pas un privilège accordé aux femmes, il s’agit d’un dispositif inclusif permettant à la moitié de la population d’accéder à des postes politiques au même titre que les hommes. Nous rappelons également que le plus grand danger que court la démocratie sénégalaise est la montée d’un discours extrémiste et obscurantiste qui veut exclure les femmes.

 

Il est temps que les femmes, plus de la moitié de la population sénégalaise, soit 52 %, cessent d’être traitées comme des citoyennes de seconde zone. Selon l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD), les femmes contribuent à hauteur de 22 % du PIB (mars 2022). A cela s’ajoute le travail domestique gratuit évalué à 28,3 % du PIB et, plus largement, l’exploitation des femmes, en particulier de leurs corps, dans tous les secteurs de la vie privée, professionnelle et publique. Cela porte la contribution des femmes à plus de 50,3 % du PIB de la nation.

Selon l’ANSD toujours, la pauvreté est moins importante dans les foyers dirigés par des femmes. En effet, elle touche 2 personnes sur 10 (21,8 %) vivant dans un ménage dont la cheffe est une femme contre plus de 4 personnes sur 10 (42,7 %) dans un ménage sous l’autorité d’un homme (enquête harmonisée sur les conditions de vie des ménages au Sénégal, ANSD, septembre 2021). Nous sommes donc la locomotive de ce pays et nous évitons son effondrement.

Ne pas réécrire notre histoire

Nous avons également toute notre place dans l’histoire du Sénégal. Il est à rappeler à la mémoire collective qu’en 1833, Ndjeumbeut Mbodj s’est sacrifiée en se mariant à un maure pour arrêter la guerre, que sa soeur Ndaté Yalla a tenu tête à l’administrateur colonial Faidherbe ; que la reine Aline Sitoé Diatta a pratiqué la désobéissance civile pendant la colonisation ; que Soukeyna Konaré a fait partie des porteuses de pancartes pour réclamer l’indépendance du Sénégal en 1958, que Sokhna Diarra Bousso a mis au monde un des plus grands dignes fils du pays, fondateur du mouridisme. Nous n’accepterons donc pas que l’on réécrive notre histoire au détriment de nos droits fondamentaux.

La loi n° 2010 du 28 mai 2010 portant parité absolue entre les hommes et les femmes dans les instances électives et semi-électives constitue un tournant décisif dans l’histoire politique du Sénégal. Elle traduit une application du cadre juridique international, régional et national favorable à l’égalité entre les femmes et les hommes. Depuis le décret d’application n° 211- 819 qui date du 16 juin 2011, elle a suscité chez les femmes de tous les milieux, l’espoir de réaliser leurs aspirations légitimes dans une démocratie inclusive et participative.

 

En 2012, le Sénégal a fait un pas important sur le chemin de l’égalité en faisant passer la présence des femmes à l’Assemblée nationale de 33 à 64 députées, faisant de cette instance l’une des plus paritaires au monde. Cependant, la bataille pour les droits des femmes n’est jamais gagnée d’avance. Ainsi, nous constatons que depuis l’adoption de cette loi, des voix masculines se sont toujours élevées pour remettre en cause sa pertinence.

De plus en plus de partis politiques ont tendance à vouloir se dérober à leurs obligations et au respect de la parité. L’Assemblée nationale, la deuxième institution de la République, garante des lois du pays, viole ouvertement la loi sur la parité. En 2014, après décision de justice, le bureau municipal de la ville de Kaolack, non paritaire, n’a pas refait son élection. La quasi-totalité des bureaux municipaux ne respecte pas la parité non plus.

Nos droits ne sont ni négociables ni discutables

Toutes ces violations flagrantes et répétées de la loi sur la parité nous obligent donc à être particulièrement vigilantes car, comme nous le constatons toutes et tous, l’inclusion des femmes ne s’est jamais faite « naturellement ». Que se passe-t-il quand on laisse les choses « évoluer naturellement » ? RIEN. Strictement rien… Ou peut-être si : des régressions.

On observe ainsi une volonté, sans cesse réaffirmée, d’exclure les femmes du champ décisionnel, en particulier politique, et plus largement une volonté manifeste d’étouffer leurs voix. A chaque échéance politique, la loi sur la parité est remise en cause. Les compétences des femmes sont systématiquement questionnées, les espaces médiatiques se retrouvent accaparés par les hommes. Ces derniers sont plus consultés que les femmes même sur des sujets qui ne les concernent pas et sur lesquels ils ne sont pas compétents.

 

Alors que, dans le même temps, les femmes sont chantées en tant que mères, épouses et sœurs de manière systématique jusqu’au sommet de l’Etat, nous sommes toutes témoins que, dans la réalité, elles sont discriminées et exploitées dans tous les secteurs. Les réactionnaires peuvent donc remballer leurs arguments fallacieux. Les femmes ne sont pas un danger pour la démocratie. Pour faire bien, le Sénégal devrait d’ailleurs imposer à tous les organismes représentatifs, qui sont aussi garants du bon fonctionnement du pays (le Conseil constitutionnel par exemple), d’être strictement paritaires. Cela nous éviterait de dire qu’en politique, comme dans tous les autres secteurs de la vie, les femmes ne récoltent que mépris, propos vexatoires et discriminations sexistes.

Les partis politiques ne font pas exception. Le machisme est la marque de fabrique des hommes politiques, qui ne se gênent pas pour exploiter la force de mobilisation des femmes. Une fois arrivés au pouvoir, ils font preuve d’une méprisante magnanimité, cantonnant les femmes à des postes de seconds rôles sans véritable pouvoir décisionnel.

 

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Fatou Sow, sociologue, CNRS/UCAD ; Sokhna Benga, scénariste, éditrice, juriste, défenseure des droits des femmes et des personnes vulnérables ; Wasso Tounkara, formatrice en activisme artistique, graphiste, féministe ; Khaira Thiam, psychologue clinicienne, féministe radicale ; Maimouna Astou Yade, juriste, directrice exécutive de JGEN Sénégal, féministe radicale ; Maïmouna Siby, cheffe de magasin, féministe ; Aminata Libain Mbengue, psychologue clinicienne, féministe radicale ; Aissatou Sène, styliste designer, activiste féministe ; Absa Gassama, enseignante chercheure en sociologie, féministe ; Kiné-Fatim Diop, militante des droits humains, féministe ; Edith Dibor Faye, conseillère technique en développement territorial, féministe ; Fatou Badji, juriste en droit du travail, féministe ; Eva Rassoul Ngo, journaliste, communicante, féministe radicale ; Marame Gueye, associate professor of african and african diaspora literatures, feminist ; Khaita Sylla, activiste des droits des femmes, féministe ; Aida Sylla, professeure de psychiatrie, féministe ; Thiaba Camara Sy, cofondatrice du Women’s Investement Club (WIC) ; Adama Pouye, médiathécaire, communicante ; Mamyto Nakamura, réalisatrice, manager Lalia Prod, féministe ; Coumba Toure, coordinatrice Africans Rising et PCA Trust Africa, féministe ; Awa Faye, féministe ; Fatimata Ba Diallo, professeure de lettres classiques, auteure ; Awa Seck, designer modéliste, féministe ; Aboud Marie-Claude, psychologue clinicienne ; Aminata Seck, romancière, scénariste, administratrice « Les Cultur’Elles » ; Ndeye Khady Babou médecin spécialiste santé internationale-DSSR ; Micheline Lawson, spécialiste en communication digitale ; Laïty Fary Ndiaye, sociologue, féministe ; Aminata Diop, cheffe d’entreprise ; Myriam Thiam, féministe, designer en bijoux, chanteuse ; Aida Mbaye, juriste ; Amina Diagne, formatrice en entrepreneuriat, coach d’affaires ; Yacine Mbacké, médecin chirurgienne, oncologue, féministe ; Fatimatou Zahra Diop, retraitée ; Aicha Manga, féministe ; Selly Bâ, sociologue ; Amy Sakho, juriste, féministe ; Mame Diarra Diané, présidente de l’association AWA’S, féministe ; Fatimata Dieng, féministe ; Marie Seye, spécialiste en communication, féministe ; Jaly Badiane, journaliste, activiste, féministe ; Aissatou Tamara Dieng, commerciale, féministe ; Marième Faye, artiste comédienne, féministe ; Ndeye Fatou Kane, chercheuse en sociologie du genre ; Adji Fatou Faye, féministe ; Sokhna Maguette Sidibé, apprentie ingénieure génie industriel, féministe ; Arame Gueye Sène, socioéconomiste, entrepreneure sociale, militante féministe ; Marina Kabou, juriste en droit des migrations, militante des droits des femmes, féministe ; Emilie Ndione Diouf, enseignante-chercheuse, féministe ; Bigué Bob, journaliste ; Seynabou Pouye, entrepreneure, présidente Faadev, féministe ; Rama Thiam Ndiaye, féministe ; Aissata Seck, féministe ; Coumba Bâ, journaliste, féministe ; Fatime Faye, société civile activiste féministe ; Ghaëls Babacar Mbaye, juriste, société civile ; Zipporah Ndione, juriste féministe ; Seynabou Sy Ndiaye, sociologue ; Fatoumata Hane, socioanthropologue, enseignante chercheure, féministe ; Khar Ndiaye, philosophe, féministe ; Oumy Dieng, consultante en communication ; Fatou Diop Sall, enseignante chercheure.

 

 

 

 

 

 

Source : Le Monde (Le 02 juin 2022)

 

 

 

 

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