Le Monde – Il est devenu l’élément le plus symbolique et le plus visible du réchauffement des relations entre la France et le Rwanda. Inauguré par Emmanuel Macron lors de son voyage à Kigali, le 27 mai 2021, le nouveau Centre culturel francophone de la capitale rwandaise a commencé ses activités en octobre, sept ans après la fermeture de l’ancien Institut français en pleine crise diplomatique entre les deux pays.
Depuis, il a reçu environ 30 000 visiteurs à l’occasion de dizaines de spectacles. Représentant un investissement de 650 000 euros, le bâtiment dispose également de salles de classe où le français est enseigné. « Mille cinq cents personnes se sont inscrites aux cours et aux examens de français en 2021. Il y avait donc une forte demande, à laquelle nous pouvons maintenant répondre », se félicite Johan-Hilel Hamel, directeur de l’établissement.
Sur les collines de Kigali comme dans les discours, la France a opéré en un an un retour très remarqué. Le 27 mai 2021 au Mémorial de Gisozi, à Kigali, Emmanuel Macron prononçait un discours dans lequel il reconnaissait une « responsabilité accablante » de la France « dans un engrenage qui a abouti au pire », soit le massacre de 800 000 Tutsi au printemps 1994. Deux mois après la publication du rapport établi par une commission d’historiens dirigée par Vincent Duclert sur le rôle de Paris dans cette « interminable éclipse de l’humanité », la visite du président français venait sceller la normalisation des relations entre les deux pays et mettre un terme à près d’un quart de siècle de tensions.
A l’été 2021, Antoine Anfré a été nommé ambassadeur de France à Kigali, alors que le poste était vacant depuis 2015. Un assistant technique d’Expertise France, une filiale de l’Agence française de développement (AFD), vient aussi de s’installer au ministère de l’éducation afin d’accompagner un programme de renforcement de l’enseignement du français dans les écoles, financé à hauteur de 5 millions d’euros par l’AFD.
C’est l’un des projets phares de l’agence dans ce pays qu’elle avait quitté en 1994 et où elle a rouvert un bureau en mars. Elle sera suivie de près par TotalEnergies, qui s’apprête aussi à ouvrir une représentation. Quant au groupe Vivendi Africa, il s’y est également progressivement implanté ces deux dernières années, avec un complexe de loisirs et le lancement d’un service de fibre optique à Kigali.
« Il n’y a plus de problème français »
Mais pour les rescapés et les familles de victimes du génocide, la priorité concerne d’abord la justice. Lors de son discours, Emmanuel Macron s’était engagé à ce « qu’aucune personne soupçonnée de crimes de génocide ne puisse échapper » aux tribunaux français. Selon le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), plusieurs centaines de personnes liées à des degrés divers au génocide auraient trouvé refuge sur le territoire français après les massacres de 1994.
« Jusqu’à présent, il n’y a eu que quatre procès [dont un en décembre 2021 et un autre en mai 2022], déplore Alain Gauthier, président du CPCR. C’est intolérable pour les victimes. La justice manque de moyens. » « On ne peut pas rattraper le temps perdu, répond un proche de l’Elysée. On peut maintenant se fixer comme objectif raisonnable d’avoir deux procès par an. Il faut comprendre que derrière chaque procès, compte tenu du temps qui s’est écoulé depuis les faits, il y a une logistique considérable à mettre en œuvre. »
Le devoir de mémoire se fait aussi à Kigali. Pour la première fois, l’ambassade de France a invité les familles de ses anciens employés assassinés pendant le génocide à une cérémonie d’hommage lors des commémorations, début avril.
En parallèle, la relation bilatérale entre la France et le Rwanda s’est renforcée sur le plan diplomatique. « La confiance s’est installée et elle permet de faire beaucoup de choses, affirme-t-on dans l’entourage du président français. Dans la préparation du sommet Union européenne-Union africaine [les 17 et 18 février à Bruxelles], par exemple, on s’est beaucoup appuyé sur le Rwanda pour mobiliser les autres chefs d’Etat et mettre à l’agenda des sujets sur lesquels ce pays est très engagé, comme l’énergie, la protection de l’environnement ou la santé. »
« Il n’y a plus de problème français. Nous sommes passés d’une phase de réparation des relations à une phase de coopération », confirme une source proche du gouvernement rwandais. Les félicitations de Paul Kagame adressées à Emmanuel Macron pour sa réélection le confirment. Dans un tweet daté du 25 avril, le président rwandais a salué « le leadership visionnaire qui vise à unir plutôt qu’à diviser », tout en espérant « davantage de partenariats » entre les deux pays. « Il y a une convergence d’intérêts stratégiques et des affinités entre les deux chefs d’Etat », ajoute un décideur français important.
Vers une reprise de la collaboration militaire ?
Cette « convergence d’intérêts » est notamment sécuritaire. Mi-mars, une délégation rwandaise comprenant le général Jean Bosco Kazura, chef d’état-major, le chef des services de renseignement militaire, Vincent Nyakarundi, ainsi que le chef des opérations et de la formation, Jean Chrysostome Ngendahimana, a été invitée pendant une semaine à Paris. Elle a été reçue par Thierry Burkhard, chef d’état-major français des armées. Au programme : la stabilité en Afrique, où la montée en puissance de l’organisation Etat islamique (EI) inquiète.
Cette rencontre augure-t-elle d’une reprise de la coopération militaire entre les deux pays, gelée depuis 1994 ? « On va clairement dans cette direction, répond un membre de l’entourage de M. Macron. Avant la visite du président à Kigali, on avait déjà mis en place des canaux de dialogue sur les principaux dossiers régionaux sur lesquels on a des intérêts communs, notamment en Centrafrique et au Mozambique. C’était de l’échange d’analyses et des manœuvres diplomatiques communes. Aujourd’hui, on va vers de possibles développements. »
Le Rwanda souhaite se positionner comme le gendarme de l’Afrique. En appui aux forces armées du Mozambique, ses soldats et ceux des pays voisins d’Afrique australe sont déployés depuis juillet 2021 dans le Cabo Delgado, une région située à la frontière tanzanienne. Plusieurs zones, dans cette partie du pays riche en projets pétroliers – dont ceux de Total –, ont été reprises aux islamistes Chabab fin 2021.
Source : Le Monde
Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com