« N’en déplaise à certains, les musulmans vivent et vivront en France en citoyens égaux en droits et en devoirs »

Le Monde Les millions de Français pratiquant l’islam, qui ont « toujours été au rendez-vous lorsque le destin du pays était en jeu », ne méritent pas le mépris, les soupçons et les blessures que leur infligent les ennemis de la communauté nationale, estime Chems-eddine Hafiz, le recteur de la Grande Mosquée de Paris, dans une tribune au « Monde ».

Je termine l’une de mes prières régulières à la Grande Mosquée de Paris et je reviens progressivement au tumulte de la vie quotidienne, actuellement marquée par une compétition politique très inquiétante. Je regarde discrètement ces humbles fidèles qui m’entourent et je ne peux m’empêcher de penser à leur vulnérabilité face aux violences verbales dont ils font l’objet et qui s’intensifient à l’approche de chaque scrutin. Systématiquement, ils deviennent alors la cible de certains milieux qui font d’eux les boucs émissaires du marasme national.

Les gesticulations et les braillements des troubadours politico-médiatiques auraient pu nous amuser s’ils ne relevaient pas du pernicieux. En fait, nous subissons depuis trop longtemps les divagations de ces dangereux charlatans dont la nuisance se présente sous forme de chroniques et débats télévisés, de livres chez des éditeurs dits « sérieux » et autres messages bien acérés et propagés sur les réseaux sociaux.

 

Les millions de musulmans anonymes qui ne demandent qu’à vivre en paix ne devraient pas susciter un tel mépris. Ils ne méritent pas ces blessures que leur infligent les véritables ennemis de la communauté nationale, car ils ont toujours été au rendez-vous lorsque le destin de la France était en jeu.

Marchands de peur

 

Alors, qui est le véritable ennemi ? C’est celui qui nous fait peur. C’est celui qui nous maintient dans l’angoisse pour nous démoraliser et conduire notre nation à sa perte. Ces annonciateurs de malheurs disent promouvoir la grandeur de la France. Ils ne protègent pas la nation qu’ils prétendent aimer. Ils la découragent pour mieux vivre de ses phobies. Ils ne sont rien d’autre que des marchands de peur. Ils sont les véritables adeptes du « grand remplacement », celui qui consiste à remplacer un peuple fier et fort par des individus égoïstes et tourmentés, au sein d’une nation qu’ils veulent fragile et désorientée. En vérité, ils rêvent d’une population craintive, captive d’un système où règne le chaos.

Cette vision est aux antipodes de la civilisation, tout comme l’est le terrorisme par rapport à l’islam. Fière de sa diversité et de ses prouesses, la France ne saurait sombrer dans cette forme de lâcheté que lui prodiguent des marionnettes agitées par les parrains de la discorde.

Il est aujourd’hui établi que la force de pénétration de ces agents nuisibles bénéficie d’un puissant soutien. Ces derniers disposent de moyens humains, logistiques, techniques et financiers. La paranoïa nationale est devenue un véritable marché obéissant à une logique de rentabilité des capitaux investis, au bénéfice des idéologues du passé fantasmé. Comment expliquer autrement cet essor spectaculaire d’une formation politique qui prétend redonner son éclat à la France tout en prêchant la haine ?

 

Un ancien candidat à la présidence de la République s’est permis des propos dont certains ont été condamnés par la justice. Dans la patrie des droits de l’homme, il est des condamnations qui sonnent comme un déshonneur. Le bon sens aurait voulu que l’individu condamné devienne infréquentable, parce que dangereux. Même déshonoré, il continue pourtant à s’agiter et à être soutenu. Pire, il a été le chef d’orchestre d’une campagne présidentielle qui faisait de l’islam et des musulmans les responsables de tous les maux.

Les pervers de la République la déshonorent. Il est temps de les arrêter. Qu’ils soient condamnés encore et encore ! Seule une réponse abrasive convient à ces ensorceleurs des temps modernes. Il leur faut une réponse politique et judiciaire qui se trouve ainsi dans les urnes comme dans les tribunaux.

N’en déplaise à certains, les musulmans vivent et vivront en France en citoyens égaux en droits et en devoirs. Ils ont voté et ils voteront encore plus dans le futur. Ils ont participé au scrutin le plus important : l’élection présidentielle. Ils ont impacté l’opinion. C’est la meilleure réponse à cette avalanche d’insultes et de médisances qui n’ont pas outre mesure ému les politiciens, les médias ou les défenseurs des droits de l’homme. « Français de papiers », nous a-t-on qualifiés pour nous exclure. Nous aurons tout entendu.

 

Silence assourdissant

 

Non, la véritable menace ne vient pas de mon voisin musulman prosterné à la mosquée. Elle ne vient pas non plus de cette mère de famille qui apprend à ses enfants à invoquer le nom de Dieu avant de manger ou de sortir du domicile familial pour se rendre à l’école ou au travail. Elle vient de ceux qui nous stigmatisent pour nous exclure.

Quittant la salle de prière, je passe devant le mur adjacent à la rue Geoffroy-Saint-Hilaire. Sur ce mur est accrochée une plaque commémorative qui nous rappelle que des milliers de musulmans sont morts pour que les Français vivent dans la dignité et la liberté. C’est à la Grande Mosquée de Paris que se trouve la meilleure preuve que les arguments des discoureurs antimusulmans sont fallacieux et sont conçus pour prêcher la division. La manœuvre est connue depuis la nuit des temps : diviser permet de régner. Alors, qui veut régner sur des Français tétanisés par la peur ? Pas nous, musulmans de France.

J’en appelle à la responsabilité des intellectuels français ainsi qu’aux femmes et hommes politiques. Nous avons un ennemi commun que je n’ai de cesse de dénoncer : le terrorisme islamiste. Mais comprenons que la matrice de ce terrorisme se nourrit de la stigmatisation des citoyens musulmans.

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Source : Le Monde

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