[Grand angle] – La Mauritanie et la Géopolitique de l’hydrogène

Financial Afrik – La Mauritanie devient un centre potentiel de la production et de l’exportation de l’hydrogène vert comme en témoigne le MOU signé récemment par la junior Chariot avec le Port de Rotterdam en vue de l’exploitation du projet Nour de 10 Gigawatt. Dans cette chronique, l’expert Hassana Mbeirick éclaire le lecteur sur les défis et les enjeux d’un bouleversement majeur. Exclusif.

 

Autant la tendance consensuelle pour l’atteinte des objectifs de neutralité carbone d’ici à 2050 s’affirme inexorable, autant l’émergence d’une nouvelle donne géopolitique se profile à l’horizon avec l’introduction de nouvelles règles de jeu. Dans cette dynamique, de nouvelles alliances sont en train de voir le jour ainsi que de nouveaux espaces d’échanges bilatéraux lesquels – déjà – redessinent une carte géostratégique planétaire nouvelle dont les contours, encore naissants, seront bientôt définis au terme d’une effervescence opportuniste exacerbée – ou rattrapée – par la réalité d’un contexte géopolitique dominé par un conflit potentiellement majeur (Russie-Ukraine) venu brouiller les cartes déjà en main. Le présent papier a pour unique ambition d’apporter une contribution à la réflexion sur les enjeux multiformes inhérents à la mise en perspective de la production accéléré de l’hydrogène vert dans le monde. Plus particulièrement, l’intention est ici de mettre en contexte l’optimisation par la Mauritanie de son potentiel naturel en l’occurrence : de grands espaces, beaucoup de vent et de soleil. En dépit des multiples annonces de projets et de volonté d’investissement dans la production de l’hydrogène vert, de nombreuses incertitudes subsistent quant à l’évolution de ce marché, à l’identité de ses leaders et aux implications géopolitiques. Considérés sous l’angle de la Mauritanie, les défis majeurs seront d’ordre financier (investissement), technologique (Electrolyse), technique/infrastructures (routes, gazoducs, ports, etc.), structurel/institutionnel (stratégie-pays, stabilité politique) et juridique (législation). A cela, viendront s’ajouter d’autres facteurs incontournables tels que : compétitivité, marché, accords bilatéraux, etc.

 

Mais avant tout qu’est ce que c’est l’hydrogène ?

 

L’hydrogène est l’élément le plus ancien, le plus léger et le plus abondant de l’univers. Il est naturellement présent dans de nombreux composés, dont l’eau et les combustibles fossiles. L’hydrogène gazeux est principalement utilisé comme matière première pour l’industrie (pétro) chimique : raffinage du pétrole brut, synthèse d’ammoniac (principalement pour la production d’engrais) et production de méthanol pour une grande variété de produits (y compris les plastiques). Environ 120 millions de tonnes d’hydrogène sont produites dans le monde, dont les deux tiers sont de l’hydrogène pur et un tiers est un mélange avec d’autres gaz. La Chine est le premier producteur et consommateur mondial d’hydrogène. Elle produit près de 24 millions de tonnes d’hydrogène pur par an, soit près d’un tiers de la production mondiale dédiée. L’hydrogène peut également être utilisé comme carburant. Lorsqu’il est brûlé, il peut générer une chaleur de plus de 1 000 °C sans émettre de CO2. De plus, l’hydrogène peut également être utilisé dans les piles à combustion, où il réagit chimiquement avec l’oxygène pour produire de l’électricité sans émettre de polluants ni de gaz à effet de serre. Le seul sous-produit de cette réaction chimique est la vapeur d’eau.

Un contexte favorable

 

L’hydrogène a suscité de multiples vagues d’intérêt dans le passé sans impact significatif. Deux facteurs rendent cette nouvelle effervescence différente des autres. Premièrement, les gouvernements du monde entier se sont ralliés à l’objectif de zéro émission nette d’ici le milieu de ce siècle. Avoir une chance raisonnable de limiter la hausse de la température mondiale à 1,5 °C, l’objectif fixé dans l’Accord de Paris de 2015, nécessite d’atteindre zéro émission nette d’ici 2050. Pour ce faire, tous les secteurs de l’économie doivent réduire leurs émissions, y compris l’industrie lourde et le transport longue distance, où des solutions limitées existent. L’hydrogène est devenu une option clé pour réduire les émissions dans ces secteurs. Deuxièmement, la chute des coûts des énergies renouvelables et des électrolyseurs améliore l’attractivité économique de l’hydrogène « vert », c’est-à-dire de l’hydrogène produit par électrolyse de l’eau alimentée par de l’électricité renouvelable. La part croissante des énergies renouvelables variables, telles que l’éolien et l’énergie solaire photovoltaïque (PV), crée également une demande de flexibilité et de stockage, que l’hydrogène peut aider à fournir. L’hydrogène vert peut ainsi compléter et prolonger la révolution en cours de l’électricité renouvelable. En raison de ces facteurs, l’hydrogène et les carburants à base d’hydrogène devraient désormais répondre à une part importante de la demande finale d’énergie en 2050, contre pratiquement rien aujourd’hui. Dans toutes ces projections, la production actuelle d’hydrogène « gris » (basée sur les combustibles fossiles) est complètement supprimée, et l’hydrogène vert est la voie de production dominante, complétée par l’hydrogène « bleu », qui est basé sur les combustibles fossiles avec captage et stockage du carbone (CCS).

Géopolitique de l’hydrogène propre (bleu et vert)

L’hydrogène pourrait modifier l’équilibre mondial des pouvoirs et entraîner des changements dans le positionnement relatif des États et des régions dans le système international. Pour preuve, l’identification des pionniers en termes de politique, les futurs exportateurs d’hydrogène et les leaders technologiques émergents. Il suffit d’examiner également la position des pays producteurs de combustibles fossiles, qui pourraient utiliser l’hydrogène pour se prémunir contre certains des risques de transition alors que le monde se dirige vers des économies nettes zéro. En outre, l’hydrogène pourrait favoriser la relocalisation des industries à forte intensité énergétique vers des points chauds renouvelables, qui pourraient devenir des sites d’industrialisation verte.

La création de chaînes de valeur mondiales pour l’hydrogène propre entraînera des changements géoéconomiques et géopolitiques. Plus particulièrement, l’hydrogène vert est en train de devenir un changeur de jeu potentiel pour réduire les émissions et atteindre la neutralité climatique sans entraver le développement économique et social.Les enjeux économiques sont importants. Les ventes annuelles actuelles d’hydrogène représentent une valeur marchande d’environ 174 milliards USD, ce qui dépasse déjà la valeur des échanges annuels de gaz naturel liquéfié (GNL). Même si l’utilisation de l’hydrogène est limitée aux processus industriels et au transport longue distance, son potentiel de marché est énorme. Une seule aciérie utilisant de l’hydrogène plutôt que des combustibles fossiles pour réduire le fer utiliserait environ 300 000 tonnes d’hydrogène par an, absorbant la production de 5 gigawatts (GW) d’électrolyseurs.

La capacité mondiale des électrolyseurs s’élève aujourd’hui à un peu plus de 0,3 GW. Selon les grandes banques d’investissement, d’ici 2050, les ventes mondiales d’hydrogène pourraient représenter 600 milliards USD (Financial Times, 2021), et les chaînes de valeur de l’hydrogène vert pourraient devenir une opportunité d’investissement de 11,7 milliards de dollars au cours des 30 prochaines années, couvrant tout : de la capacité renouvelable dédiée et des électrolyseurs aux infrastructures de transport (Goldman Sachs, 2020). La portée transformatrice de l’hydrogène va au-delà de sa valeur marchande estimée. Il est préférable de le considérer comme un vecteur énergétique à usage général qui peut favoriser l’innovation dans de nombreux secteurs et industries différents. Son impact géopolitique pourrait suivre les schémas de la vapeur, de l’électricité ou du moteur à combustion interne. Chacune à leur manière, ces technologies ont transformé les machines et les carburants sur lesquels fonctionne une grande partie de notre civilisation moderne. Au cours de ce processus, ils ont également affecté différents aspects de la vie humaine, modifié les modèles commerciaux mondiaux et façonné l’équilibre mondial des pouvoirs.

Bien que ces technologies aient apporté de nombreux avantages à l’humanité, ces avantages n’ont pas été équitablement répartis. Ils ont donc accablé les sociétés de nouvelles externalités et de défis mondiaux. Par rapport à ces technologies qui définissent l’époque, l’impact de l’hydrogène propre sera probablement moindre, mais il ne devrait pas être écarté trop rapidement. Derrière la formule chimique simple de l’hydrogène gazeux (H2), se cache tout un système d’infrastructures pour produire, transporter, convertir et utiliser l’hydrogène. Un tel système pourrait créer de nouvelles connexions entre les secteurs énergétiques auparavant séparés de l’électricité, de la chaleur et de la mobilité. Cela pourrait favoriser des partenariats qui transcendent les frontières traditionnelles de l’industrie. Plus important encore, la volonté de développer l’hydrogène propre en tant que vecteur énergétique majeur est susceptible de perturber les chaînes de valeur énergétiques actuelles et de créer des opportunités pour que davantage de pays jouent un rôle important.

À terme, cela pourrait même conduire à une toute nouvelle géographie économique de l’activité industrielle. La géopolitique de l’hydrogène propre est susceptible de se dérouler en différentes étapes. Les années 2020 pourraient être l’ère de la grande course au leadership technologique, avec des coûts en baisse significative et une mise à l’échelle rapide de l’infrastructure requise. Dans de nombreux endroits, l’hydrogène vert devrait concurrencer le bleu en termes de coûts d’ici 2030 (IRENA, 2020). Dans de nombreux scénarios de décarbonisation, la demande commence à décoller à partir de 2035 (Conseil mondial de l’énergie, 2021). Au cours de cette période, le commerce international d’hydrogène et de ses dérivés pourrait croître de manière significative, bien que les premières routes commerciales puissent être établies plus tôt (Ram, 2020).

 

Principales projections d’utilisation d’hydrogène d’ici 2050 dans le Scénario 1,5 °C de L’IRENA

 

• L’hydrogène et ses dérivés représentent 12 % de la consommation finale d’énergie et 10 % des réductions d’émissions de dioxyde de carbone (CO2). Ils jouent un rôle important dans les secteurs difficiles à décarboner et à forte intensité énergétique comme l’acier, la chimie, le transport longue distance, le transport maritime et l’aviation. L’hydrogène aide également à équilibrer l’offre et la demande d’électricité renouvelable et sert de stockage saisonnier à long terme.

• Quelque 5 000 GW de capacité d’électrolyseur d’hydrogène sont nécessaires, contre seulement 0,3 GW aujourd’hui.

• La demande d’électricité pour produire de l’hydrogène atteint près de 21 000 térawattheures (TWh), presque le niveau de la consommation mondiale d’électricité aujourd’hui.

• La production d’hydrogène vert et ses dérivés utilisera 30% de la demande totale d’électricité en 2050.

• Au moins les deux tiers de la production totale sont de l’hydrogène vert, le reste provenant de l’hydrogène bleu.

 

Investissements

 

La pandémie de COVID-19 a intensifié la course au leadership dans le domaine de l’hydrogène propre, car de nombreux pays reconnaissent l’importance de l’hydrogène pour relever le double défi du changement climatique et de la reprise économique après le COVID-19. Des parts importantes des fonds de relance des pays ont été affectées à des projets d’hydrogène, amenant l’hydrogène dans le domaine de la concurrence géoéconomique. Début août 2021, les gouvernements avaient alloué au moins 65 milliards USD de soutien ciblé à l’hydrogène propre au cours de la prochaine décennie, la France, l’Allemagne et le Japon prenant les engagements les plus importants. Ces montants sont importants, mais ils font pâle figure en comparaison des subventions au secteur de l’énergie qui s’élevaient à 634 milliards de dollars en 2017, dont 70 % soutenaient les combustibles fossiles. Grâce à ces plans nationaux et dispositifs de soutien, les investissements dans l’hydrogène propre ont décollé ces dernières années.

En novembre 2021, les annonces mondiales de projets d’hydrogène d’ici 2030 totalisaient 160 milliards USD d’investissements, la moitié des investissements étant prévus pour la production d’hydrogène vert à l’aide de sources d’énergie renouvelables et de l’électrolyse (Hydrogen Council, 2021). Les décisions d’investissement sont de longue durée et les risques liés aux actifs bloqués sont élevés, de sorte que les infrastructures fixes doivent être évaluées dans une logique à long terme. Chaque décision d’investissement et de planification concernant les infrastructures énergétiques aujourd’hui doit tenir compte du fait que la géographie d’une économie décarbonée est susceptible d’être très différente de ce qui a actuellement du sens. Une électrification importante des utilisations finales refaçonnera la demande.

Du côté de l’offre, la production d’hydrogène renouvelable se produira probablement dans des endroits autres que les champs de pétrole et de gaz d’aujourd’hui. Bien qu’une partie de l’infrastructure existante puisse être réaffectée, les défis techniques et les coûts économiques d’une telle réaffectation doivent être pris en compte dès le départ. Aucune décision concernant les infrastructures énergétiques ne doit négliger le fait que la géographie des infrastructures dans une économie décarbonée pourrait s’avérer très différente de ce qu’elle est aujourd’hui. Du côté de l’offre, par exemple, la production d’hydrogène renouvelable aura probablement lieu dans des endroits différents des gisements de pétrole et de gaz actuels (Muttitt, 2021). Inversement, une électrification importante des utilisations finales remodèlera la demande en taille et en portée. Chaque nouvelle décision d’investissement est de longue durée, de sorte que

l’infrastructure de pipelines fixes doit être évaluée avec une logique à l’épreuve du temps. Par exemple, toute infrastructure de gazoduc construite aujourd’hui devrait pouvoir être « réaffectée » pour transporter des gaz propres tels que l’hydrogène et le bio-méthane. Une telle réaffectation s’accompagne de défis techniques et de coûts économiques, qui doivent tous être pris en compte lors de la planification des investissements.

 

Risques d’investissement

 

La mise en place d’infrastructures pour le commerce de l’hydrogène comporte des risques des deux côtés de la chaîne d’approvisionnement. Compte tenu de la forte intensité capitalistique des chaînes de valeur du commerce de l’hydrogène, la réduction des risques de ces investissements nécessitera probablement de grands consortiums, des niveaux élevés d’implication de l’État et une coordination internationale. L’histoire du marché du GNL peut être instructive à cet égard.

Du point de vue d’un exportateur, la sécurité des revenus est cruciale. Sans un flux de revenus assuré, il n’est pas possible de récupérer les dépenses en capital initiales engagées pour construire des projets d’hydrogène. Les revenus doivent être suffisants pour couvrir les coûts des électrolyseurs (dans le cas de l’hydrogène vert), des reformeurs de gaz naturel (dans le cas de l’hydrogène bleu), des parcs solaires et éoliens (pour l’hydrogène vert), des installations de réserve de gaz (pour l’hydrogène bleu), et les infrastructures de transport et de stockage.

Des projets d’exportation d’hydrogène ont vu le jour en Australie, au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et australe et en Amérique du Sud. Ensemble, les plans derrière ces projets envisagent la production de millions de tonnes d’hydrogène propre et de dérivés destinés aux marchés mondiaux. Ces plans sont confrontés à un avenir incertain, car la demande mondiale d’hydrogène propre ne fait que commencer et la concurrence pour les ventes sera féroce. La liste des pays qui aspirent à devenir exportateurs d’hydrogène est bien plus longue que celle des pays qui envisagent d’importer.

Du point de vue des acheteurs qui se préparent à dépendre des importations, la sécurité de l’approvisionnement est essentielle. Ils doivent être sûrs que des capacités suffisantes d’électricité renouvelable seront disponibles pour l’électrolyse dans les pays exportateurs d’hydrogène. Plusieurs exportateurs d’hydrogène en herbe sont confrontés à une demande intérieure croissante d’électricité. Prenons le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, une région souvent considérée comme un fournisseur potentiel d’hydrogène et de dérivés. La population de la région devrait doubler d’ici 2050; la demande d’électricité devrait augmenter en conséquence. Cela impose des exigences élevées aux énergies renouvelables, qui devraient simultanément répondre à la demande supplémentaire d’électricité, remplacer les unités de production de combustibles fossiles existantes et alimenter les électrolyseurs pour produire de l’hydrogène pour les marchés d’exportation. L’incertitude des investissements met également en péril la sécurité énergétique. Bien que de nombreux projets d’exportation d’hydrogène à l’échelle du gigawatt aient été annoncés, ils pourraient subir des retards en raison de plusieurs facteurs, notamment les processus d’autorisation.

En juin 2021, par exemple, le gouvernement australien a rejeté pour des raisons environnementales un plan visant à construire le plus grand projet d’exportation d’énergie verte au monde, le soi-disant Asian Renewable Energy Hub (Smyth, 2021).

Des risques d’investissement plus élevés se traduisent par des coûts de financement globaux plus élevés du projet, mais ils n’entravent pas nécessairement l’investissement. Le secteur pétrolier et gazier en amont montre que si les revenus sont clairs, les investissements se poursuivront, même dans les pays présentant un profil à haut risque. En mai 2021, par exemple, un développeur australien de systèmes d’énergie renouvelable a signé un protocole d’accord de 40 milliards USD avec le gouvernement mauritanien pour construire l’un des plus grands projets d’hydrogène vert au monde. L’accord a été signé même si la Mauritanie a également reçu une étiquette « avertissement élevé » sur l’indice des États fragiles (Fonds pour la paix, 2021).

Lire la suite

 

 

 

Hassana Mbeirick, expert international.

 

 

 

 

Source : Financial Afrik

 

 

 

Les opinions exprimées dans cette rubrique n’engagent que leurs auteurs. Elles ne reflètent en aucune manière la position de www.kassataya.com

 

 

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page