L’avenir suspendu des étudiants africains qui ont fui l’Ukraine

La confusion règne pour les réfugiés francophones du Maghreb et d’Afrique de l’Ouest arrivés en France début mars et exclus de la protection temporaire de l’Union européenne.

Le Monde – Que sont devenus les étudiants d’origine africaine qui avaient fui la guerre en Ukraine et s’étaient réfugiés en France début mars ? Arrivés presque en même temps que les Ukrainiens, ils n’ont pas bénéficié de la protection temporaire assortie d’aides sociales généreuses et renouvelable « de plein droit » accordée aux autres réfugiés.

Le dispositif d’urgence déclenché par l’Union européenne le 4 mars excluait en effet « les ressortissants de pays tiers en mesure de regagner leur pays d’origine dans des conditions sûres et durables ». Côté français, le ministère de l’intérieur a laissé à la discrétion des préfets l’examen individuel « du droit au séjour de ces personnes ». Un flou qui avait d’emblée inquiété les organismes d’aide aux réfugiés.

 

Un mois et demi plus tard, la confusion règne. D’après les témoignages recueillis par Le Monde, beaucoup de jeunes ont obtenu une autorisation provisoire de séjour (APS) de trente jours. Mais certains se sont entendu dire que cette APS n’était pas renouvelable, alors que d’autres ont appris qu’elle pourrait l’être, à condition de revenir avec une preuve d’inscription en université… Un dossier difficile à réaliser en si peu de temps quand tout manque : papiers d’identité, relevés de notes et preuves de suivi d’un cursus ukrainien. Quelques-uns se sont même vu confisquer leur passeport lors de leur passage par l’Allemagne.

« Besoin de clarification »

Le sentiment d’être en sursis et la peur sont si forts que plus aucun d’entre eux ne veut être cité sous sa véritable identité, redoutant des conséquences sur la suite de leur parcours, certains même refusent désormais de s’exprimer. « Quand les bombes tombent, elles ne regardent pas si tu es Ukrainien ou Ivoirien. On a tous fui la guerre », raconte Christian*, un Camerounais de Marioupol d’à peine 20 ans qui ne comprend toujours pas que l’Europe ait décidé de faire une sélection entre les réfugiés. « Nous ne sommes pas des délinquants, nous sommes partis avec des papiers en règle et un visa étudiant. La guerre nous a plongés dans une situation dramatique et impossible », confie Abel*, un Ivoirien de 26 ans qui a fui Kharkiv.

La plupart de ces jeunes Africains sont arrivés en France après un périple éprouvant à travers l’Europe, parfois émaillé de discriminations et d’actes racistes, notamment à la frontière entre l’Ukraine et la Pologne. « Il ne faut pas sous-estimer le choc qu’ils ont subi, certains n’osent même pas aller se déclarer », souligne Mathieu Schneider, président du Réseau Migrants dans l’enseignement supérieur (MEnS) et vice-président de l’université de Strasbourg chargé des solidarités.

 

« On a un besoin de clarification et d’harmonisation des pratiques préfectorales », renchérit Delphine Rouilleault, présidente de France Terre d’asile. On doit savoir si ces jeunes ont une perspective d’obtenir un visa étudiant rapidement car beaucoup arrivent au bout du mois d’APS qu’ils ont obtenu. »

Pourtant, tout semblait avoir été prévu pour accueillir ces étudiants venus pour l’écrasante majorité rejoindre un parent installé en France. Dès le début du mois de mars, Mbaye Fall Diallo, professeur en sciences de gestion des entreprises à l’université de Lille, s’est mobilisé grâce aux réseaux sociaux. Ce Franco-Sénégalais, missionné sur les sujets d’enseignement supérieur au sein du Conseil présidentiel pour l’Afrique (CPA) – le groupe de binationaux créé par Emmanuel Macron en 2017 pour le conseiller sur les attentes des diasporas africaines –, a d’emblée alerté sur la situation complexe de ces ressortissants.

Continuité pédagogique

Théoriquement censés pouvoir rentrer chez eux, beaucoup étudiants ne veulent pas renoncer à un diplôme pour lequel leur famille a consenti d’énormes sacrifices financiers – si tant est que leur pays puisse offrir la formation équivalente à celle suivie en Ukraine. « Croyez-moi, explique Charles*, un Guinéen qui était en quatrième année d’ingénieur en cybersécurité à Odessa, si j’avais pu faire un cursus d’excellence dans mon pays, je ne serai pas parti si loin de chez moi pour étudier dans une langue compliquée dont j’ignorais tout. »

Les membres du CPA, de jeunes entrepreneurs pour la plupart, se sont immédiatement lancés dans un recensement. « Nous avons demandé une réunion interministérielle pour préparer au mieux leur arrivée », raconte M. Diallo, fin connaisseur des réalités du continent et du système français. L’idée était de permettre une continuité pédagogique d’urgence quand c’était possible et même si l’année universitaire touchait déjà à sa fin, puis d’organiser la prochaine rentrée. « Pour cela, il était clair qu’il fallait leur permettre de rester sur le territoire français plusieurs mois, ne serait-ce que pour débrouiller leur situation avant de pouvoir obtenir un visa étudiant. »

 

Le CPA avait obtenu l’assurance du ministère de l’intérieur qu’ils pourraient bénéficier d’autorisations de séjour suffisantes et il a été décidé que l’agence nationale Campus France prendrait en charge les dossiers des étudiants, invités à se faire connaître par le biais d’un questionnaire en ligne puis d’un lien d’inscription. Sollicités, les présidents d’universités et le Crous se sont engagés à débloquer 1 000 places dans les facs et 300 places d’hébergement en cités U. Enfin, la Croix-Rouge et plusieurs associations ont répondu présent pour assurer une prise en charge de leurs besoins immédiats d’hébergement, de nourriture et de soins.

Tous les acteurs ont été surpris de ne voir arriver que quelques centaines, au plus un millier, de ces étudiants francophones, alors qu’ils étaient près de 15 000 (sur un total de 23 000 issus de tout le continent, selon les chiffres croisés de l’Unesco et des consulats) à avoir choisi l’Ukraine pour se former. Un chiffre confirmé par le site du ministère de l’intérieur.

« Nous sommes dans une impasse »

Beaucoup de Marocains, d’Egyptiens, de Tunisiens et de Sénégalais ont été rapatriés dès le début de la crise, d’autres ont tenté leur chance en Allemagne, en Espagne ou en Belgique, réputées plus accueillantes. Ceux qui sont venus en France avec l’espoir de rebondir rapidement sont aujourd’hui plongés dans le désarroi. Une poignée seulement a réussi à décrocher une inscription universitaire.

« Au 21 mars, à la clôture de notre recensement, nous avions comptabilisé 403 étudiants », explique Mbaye Fall Diallo, qui précise que des demandes ont continué à être envoyées à Campus France, qui a définitivement pris la main sur le dispositif, en plus de gérer l’accueil des étudiants ukrainiens. Mais, « depuis trois semaines, nous n’avons plus aucune nouvelle. Tout semble suspendu », se désole Abdelaziz Moundé, l’infatigable président de la Maison des Camerounais de France et coordinateur du Réseau Afrique 6Région, qui a pris sous son aile de nombreux étudiants ouest-africains et maghrébins.

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* Les prénoms ont été changés.

 

 

 

 

 

 

 

Source : Le Monde

 

 

 

 

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